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Le corridor de Zanguezour — ou "route de Trump", comme l’a surnommé le ministre turc des Transports Abdulkadir Uraloğlu — s’impose comme la prochaine pièce maîtresse de l’échiquier géoéconomique eurasiatique. Long de 43 kilomètres à travers le sud de l’Arménie, ce projet vise à relier l’ouest de l’Azerbaïdjan à la République autonome du Nakhitchevan, pour ensuite déboucher sur la Turquie.

Interviewé sur Kanal 7, Uraloğlu a souligné que les travaux devraient commencer sous peu, après un accord obtenu — fait notable — grâce à une initiative américaine. Ce projet est appelé à renforcer le "corridor médian", axe stratégique de transport qui relie la Chine à l’Europe via le Caucase et l’Asie centrale, en contournant la Russie et l’Iran.

Le corridor médian : alternative en plein essor

Le "Middle Corridor" — ou corridor international transcaspien — a vu son importance décupler dans le sillage des crises géopolitiques récentes, notamment les sanctions occidentales contre Moscou et les perturbations sur les routes nordiques. En 2023, le volume de fret transitant par ce corridor a bondi de plus de 80 %, atteignant 2,8 millions de tonnes selon le consortium TITR. À l’horizon 2026, ce chiffre pourrait doubler.

Mais la véritable épine dans le pied reste la connectivité entre l’Azerbaïdjan, le Nakhitchevan et la Turquie. C’est précisément là que le corridor de Zanguezour pourrait faire la différence.

Zanguezour : un verrou stratégique à débloquer

Plus qu’un simple tronçon de voie ferrée, le corridor de Zanguezour représente une artère vitale pour relier l’Asie centrale au bassin méditerranéen. Il ouvrirait une liaison directe — ferroviaire et routière — entre le monde turcique et l’Anatolie, raccourcissant drastiquement les délais et les coûts logistiques.

La Turquie a déjà entamé la construction d’un segment intérieur de 224 km, de Kars à Dilucu via Iğdır. De son côté, Bakou avance sur ses infrastructures jusqu’à la frontière avec le Nakhitchevan. Le maillon manquant, côté arménien, attend désormais l’amorce des travaux.

L’ombre de Washington et la diplomatie du rail

Le clin d’œil à Washington dans les déclarations d’Uraloğlu est tout sauf anodin. La diplomatie américaine, via l’initiative "Middle Corridor+", pousse à diversifier les routes de transport eurasiatiques hors du giron russe.

Le terme "route de Trump", bien que flou, semble désigner cette volonté stratégique américaine de contourner Moscou et Téhéran en misant sur le Caucase comme pont énergétique et logistique. Ce projet s’inscrit dans la doctrine américaine de renforcement de l’axe Est-Ouest et de soutien aux États souverains du Caucase du Sud.

Des promesses économiques… et des tensions en embuscade

Pour l’Azerbaïdjan, le corridor signifierait la fin de l’isolement du Nakhitchevan et une montée en puissance comme hub de transit régional. D’après des experts locaux, les recettes liées au fret pourraient bondir de 30 à 35 % durant les cinq premières années d’exploitation.

Pour Ankara, il s’agit d’un levier d’intégration avec l’Asie centrale et d’un coup de projecteur logistique sur Kars. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan y voient quant à eux l’occasion de gagner plus de 1 000 km sur leurs trajets vers l’Europe. Quant à la Géorgie, elle pourrait consolider son rôle sur la ligne Bakou–Tbilissi–Kars tout en diversifiant ses options.

Mais l’Arménie, méfiante, redoute une perte de souveraineté sur sa région méridionale. Erevan réclame des garanties juridiques et un principe de réciprocité en matière de transit. Sans compromis diplomatique, les bulldozers pourraient rester à l’arrêt.

Vers une nouvelle géographie du commerce eurasiatique

Si le corridor voit le jour, il parachèvera le tracé du corridor médian comme alternative viable au corridor nord passant par la Russie et la Biélorussie. La Banque mondiale estime qu’en 2030, jusqu’à 15–17 millions de tonnes de fret pourraient transiter annuellement via le Caucase du Sud, replaçant la mer Caspienne au centre de la logistique mondiale.

Bakou pourrait alors prétendre au rôle de plaque tournante opérationnelle du commerce eurasiatique, au croisement des intérêts chinois, turcs, européens et américains. Une perspective qui renforcerait son poids diplomatique et accélérerait la modernisation de son réseau ferroviaire.

Un projet de couloir, un symbole de monde nouveau

Le corridor de Zanguezour n’est pas un simple projet d’infrastructure : c’est le totem d’un ordre géoéconomique émergent, où les routes supplantent les alliances. Pour la Turquie, c’est l’affirmation de son leadership régional. Pour l’Azerbaïdjan, une marche vers une autonomie stratégique renforcée. Pour les États-Unis, un levier d’influence dans un espace en recomposition.

Si les travaux s’achèvent d’ici 2026–2027, le corridor médian ne sera plus seulement une ligne sur une carte : il deviendra la colonne vertébrale d’un nouvel ordre eurasiatique, porteur d’échanges, d’alliances, et peut-être, d’un nouveau pacte de confiance entre les mondes de l’Est et de l’Ouest.

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