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Jamais dans l’histoire humaine une architecture mondiale n’aura été aussi tentaculaire, pérenne et dominante que celle imposée par les États-Unis à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Mais aujourd’hui, les signaux d’alarme se multiplient : l’édifice bâti à Washington se fissure. L’ordre mondial fondé sur l’hégémonie américaine traverse une crise systémique. Et le plus inquiétant : cette crise vient moins des forces extérieures que de l’intérieur même de l’Amérique. Une Amérique que Donald Trump, revenu à la Maison Blanche, s’apprête à remodeler à son image — quitte à sonner le glas de ce que l’histoire avait baptisé le « Pax Americana ».

Car tout ordre international repose d’abord sur une projection de puissance. Depuis 1945, les États-Unis avaient construit une nouvelle réalité : alliances militaires hypertrophiées, dollar érigé en monnaie-planète, institutions internationales sous contrôle occidental, « démocratie » brandie en modèle universel. Cet édifice n’a tenu debout ni par la seule force des armes ni par la seule suprématie économique, mais surtout par la croyance. La croyance que l’Amérique était garante d’un certain ordre juste, stable, prospère. Cette croyance s’effondre. Non pas parce qu’une alternative plus séduisante se serait imposée, mais parce que le maître d’œuvre lui-même a perdu le cap — et la foi.

Trois dynamiques convergentes sapent les fondements de la domination américaine. Chacune, à elle seule, pourrait s’avérer fatale.

1. L’échec militaire : la dissuasion en lambeaux

L’Amérique reste la première puissance militaire du globe — sur le papier. Mais le vernis s’écaille, l’aura d’invincibilité s’évapore. Après les fiascos afghan et irakien, l’image d’une puissance inarrêtable a volé en éclats. Aujourd’hui, sur plusieurs fronts — de Taïwan au Proche-Orient — les États-Unis vacillent, à deux doigts de perdre l’initiative stratégique.

Le talon d’Achille : Taïwan. Une invasion chinoise de l’île ne serait pas seulement un cataclysme régional, mais l’acte de décès du statut de garant de sécurité que s’arroge Washington en Asie. Même logique dans le Golfe : l’incapacité américaine à contenir l’Iran et à sécuriser les routes pétrolières mine le récit du « parapluie protecteur ». Quant à la Corée du Nord, dotée de l’arme nucléaire, elle négocie désormais d’égal à égal avec l’Oncle Sam, lui imposant ses conditions.

Un monde où Washington n’empêche ni les guerres ni les escalades, c’est un monde sans Pax Americana. Un monde de chaos où la Chine, la Russie, l’Iran et consorts prennent leurs aises. Un échec militaire majeur — surtout dans l’Indo-Pacifique — pourrait précipiter l’éclatement des alliances, et pousser les partenaires traditionnels à changer de parrain.

2. La trappe économique : un dollar lesté de dettes

L’Amérique vit à crédit — au sens strict. La dette fédérale dépasse les 35 000 milliards de dollars, et chaque nouveau budget approfondit le gouffre fiscal. La Réserve fédérale imprime de la monnaie à tour de bras, les marchés continuent (pour l’instant) à miser sur le dollar, mais ce capital de confiance n’est pas éternel.

La puissance économique des États-Unis repose sur un axiome : la demande mondiale de dollars. Mais cet axiome se fissure. Les BRICS développent leurs propres systèmes de paiement ; l’Arabie Saoudite, l’Inde, la Chine et la Turquie multiplient les échanges en monnaies nationales. Le dollar perd lentement mais sûrement son statut de monnaie-reine.

Un effondrement de la confiance dans le dollar ne provoquerait pas qu’une crise financière. Il déstabiliserait toute la machinerie de la mondialisation — un système où les banques américaines, les fonds d’investissement et les multinationales captent une part colossale du PIB mondial. Les déséquilibres budgétaires, les tensions inflationnistes, les alertes sur la notation de crédit américaine ne sont pas des symptômes passagers. Ce sont les signes avant-coureurs d’un séisme structurel.

3. Le naufrage idéologique : l’Amérique doute d’elle-même

Un ordre mondial ne tient pas que par les armes ou les flux financiers. Il repose sur une forme de légitimité morale. Depuis 1945, les États-Unis se présentaient comme le phare de la démocratie. Aujourd’hui, cette lumière vacille.

Le pays est fracturé. Polarisation politique extrême, violences, perte de confiance généralisée dans les institutions : l’image d’une démocratie modèle s’effondre de l’intérieur. L’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021 reste un symbole gravé dans la mémoire collective : si même le temple de la démocratie américaine peut être ainsi profané, alors quelle autorité morale Washington peut-il encore revendiquer à l’étranger ?

Dans ce contexte, le retour de Donald Trump ne signifie pas un simple changement de ton, mais un bouleversement de paradigme. Trump méprise les institutions internationales, refuse les engagements automatiques vis-à-vis des alliés, et prône un isolationnisme brutal : « America First ». Cette doctrine sape le socle même du leadership global, fait de pactes et de devoirs partagés. De plus en plus de pays ne voient plus en l’Amérique une garantie de stabilité, mais une menace pour l’équilibre mondial.

Chine : le choc qui rebat toutes les cartes

L’hégémonie américaine, longtemps tenue pour incontestable, semble aujourd’hui vaciller. Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont incarné le rôle de gendarme du monde — sans rival à l’horizon. Mais dans les années 2020, l’illusion s’est dissipée : une puissance émerge en Asie, prête non seulement à défier l’ordre établi, mais à le renverser par la force si nécessaire.

La Chine ne se contente plus de moderniser ses forces : elle bâtit une machine de guerre d’un nouveau genre. Missiles dernier cri par centaines, armes hypersoniques, une flotte désormais plus fournie en bâtiments que celle des États-Unis, un programme nucléaire d’envergure — tout cela dans la perspective explicite d’un affrontement dans le détroit de Taïwan. Pékin ne cache plus ses intentions : il s’agit de chasser stratégiquement les États-Unis de l’ouest du Pacifique. Et le recours à la force n’est plus tabou.

Une guerre autour de Taïwan pourrait faire figure de Sarajevo de notre temps — le déclencheur d’un cataclysme planétaire. Les États-Unis n’auraient d’autre choix que d’intervenir pour soutenir leur protégé et défendre leur crédibilité stratégique. Mais leur capacité à réussir cette intervention reste incertaine. Les risques sont considérables : l’armée chinoise est non seulement massivement équipée, mais elle opère à domicile. Les bases américaines dans la région sont vulnérables, les lignes de ravitaillement tendues, et les alliés asiatiques hésitent.

En cas de revers, les États-Unis perdraient l’essentiel — leur réputation d’invincibilité. Et avec elle : leurs alliances, leurs bases, leurs canaux d’influence, l’accès aux régions critiques de la planète. Comme l’a résumé l’amiral Samuel Paparo, chef du commandement indo-pacifique : « L’Amérique se comporte comme si elle était immortelle. Mais le temps ne joue plus en notre faveur. »

La surcharge impériale : une armée à bout de souffle

Les États-Unis sont déjà engagés sur une multitude de fronts : Ukraine, Moyen-Orient, Corée, Afrique. Chaque théâtre exige hommes, équipements, munitions, attention stratégique. Or l’armée américaine, conçue pour des opérations ponctuelles, ploie sous la pression d’un engagement global permanent.

Certes, le budget de la Défense américain reste le plus élevé au monde. Mais sa part dans le PIB a chuté à des niveaux historiquement bas. La construction navale accuse du retard, les stocks d’armements de précision sont entamés, et l’appareil industriel n’est pas calibré pour une guerre longue et à haute intensité. Pendant que Washington luttait contre le terrorisme, la piraterie ou les cybermenaces, Pékin préparait une armée capable de l’emporter dans un conflit conventionnel de grande envergure.

Les généraux américains en conviennent : la stratégie de dissuasion est en miettes. Même une victoire isolée pourrait s’avérer pyrrhique si elle devait coïncider avec un second ou un troisième conflit simultané. Et quand les adversaires se coordonnent — comme c’est le cas entre Moscou, Téhéran et Pékin —, le syndrome de la surcharge impériale devient réalité.

Les empires ne s’effondrent pas toujours sous les coups de l’ennemi. Parfois, ils sombrent dans leur propre suffisance.

Une dette colossale, un avenir hypothéqué

Pendant des décennies, l’Amérique a été un géant économique capable d’acheter son influence. Mais aujourd’hui, ce modèle s’essouffle. Ce qui, au début du siècle, semblait un endettement gérable, est devenu une bombe à retardement. Le cap symbolique des 100 % du PIB est franchi, les projections parlent de 119 % à court terme, et jusqu’à 200 % dans les décennies à venir. N’importe quelle autre économie aurait déjà sombré. Seule l’Amérique, grâce à son statut d’émetteur de la monnaie mondiale, tient encore.

Mais même ce privilège n’est pas éternel. Si la confiance dans le dollar vacille, si les États cessent d’acheter la dette américaine, c’est tout le château de cartes qui s’effondre. Comme l’a fait l’Empire britannique après 1945, lorsque la livre a perdu son attrait international et que les colonies ont cessé de renflouer Londres.

La politique budgétaire américaine a cessé depuis longtemps d’être un instrument de gouvernance stratégique. Elle oscille désormais dangereusement entre populisme fiscal et irresponsabilité chronique. Avec un déficit annuel dépassant les milliers de milliards de dollars, Washington consacre autant au service de sa dette qu’à l’ensemble de sa défense. Il ne s’agit plus d’un signal d’alerte. Il s’agit d’une tumeur économique — et aucun traitement législatif ne suffit à l’endiguer.

Ce laxisme budgétaire devient une menace sécuritaire. Plus les États-Unis remboursent d’intérêts, moins ils investissent dans leur armée, leurs alliances, leurs technologies. L’Amérique commence à ressembler à la Grande-Bretagne post-1945 : puissance nucléaire, certes, mais minée par ses dettes et son déclin industriel.

Et si le dollar cesse d’être la « monnaie de confiance », c’est toute l’architecture du Pax Americana qui s’effondrera. Car c’est le dollar qui permettait à Washington d’imposer ses règles — via les sanctions, le contrôle des flux financiers, l’extraterritorialité des lois. L’effondrement du dollar comme pivot mondial serait une capitulation économique sans bataille. Et elle n’est plus un scénario de science-fiction.

Trump et la guerre des tarifs : l’Amérique en mode disruption

La politique commerciale est devenue l’arme préférée de la nouvelle administration Trump. Derrière le slogan « America First », les États-Unis renoncent à être le socle du commerce mondial pour devenir son facteur d’instabilité. Les guerres tarifaires — avec la Chine, l’Inde, l’Union européenne, voire le Canada ou le Mexique — transforment les partenaires en otages.

Ce n’est pas qu’une dégradation des relations. C’est un dynamitage du socle occidental lui-même. Les alliés sont contraints d’augmenter leurs budgets militaires, tout en faisant face aux barrières américaines sur leurs propres exportations. Et ce ne sont pas que l’acier ou l’aluminium qui sont visés : technologies de pointe, médicaments, énergie, construction navale, agriculture — tous les secteurs sont dans la ligne de mire.

Comme l’a formulé un analyste asiatique : « La Chine menace notre sécurité. L’Amérique, notre avenir. » Quand votre allié devient votre problème économique, l’alliance perd tout sens.

Le dernier bastion vacille : institutions et marchés en crise de légitimité

Pendant longtemps, les marchés et institutions américaines incarnaient la stabilité. La Fed, le Trésor, la SEC, les standards comptables, le droit des affaires : autant de piliers respectés pour leur rigueur, leur neutralité, leur rationalité. Ce bastion aussi vacille.

L’administration Trump multiplie les pressions sur la Réserve fédérale. La politique tarifaire se mue en outil de chantage géopolitique — du Mexique à la Hongrie. Les conflits migratoires, les affrontements idéologiques, les tensions personnelles entre dirigeants : tout cela contamine aujourd’hui les flux financiers. Dans un monde où les marchés réagissent aux tweets et aux caprices, la confiance s’évapore.

L’économie américaine n’est plus le pilote de la mondialisation, mais son principal facteur de turbulence. Les États se tournent vers d’autres horizons : mécanismes bilatéraux, circuits de crédit alternatifs, unions d’investissement. Et souvent, ils trouvent : en Asie, chez les BRICS, sur les plateformes régionales. La dédollarisation n’est pas encore une lame de fond. Mais elle est déjà un phénomène irréversible.

Effondrement des règles, effondrement de l’ordre

Un ordre mondial ne tient ni par les armes ni par les devises. Il repose sur des règles. Et lorsque ceux-là mêmes qui les ont édictées commencent à les piétiner, c’est tout l’édifice qui vacille de l’intérieur.

L’Amérique avait bâti un système autour de quatre piliers fondamentaux :
– la liberté des mers,
– la non-prolifération nucléaire,
– le respect de la souveraineté territoriale,
– les droits de l’homme comme norme universelle.

Aujourd’hui, chacun de ces piliers est ébranlé.

La liberté de navigation ? Pékin militarise la mer de Chine méridionale, les Houthis détournent des pétroliers, Moscou verrouille l’Arctique.

La non-prolifération ? Pyongyang est désormais de facto reconnu comme puissance nucléaire, Téhéran n’est qu’à un souffle de l’arme, Pékin multiplie les têtes.

L’intégrité territoriale ? Violée en Ukraine, acceptée au Kosovo, ignorée en Syrie.

Les droits humains ? Entre les camps ouïghours, Gaza sous les bombes, la guerre au Tigré ou les horreurs au Yémen, le bilan est accablant. Et la voix de Washington devient soit inaudible, soit volontairement muette.

Les États-Unis ne sont plus perçus comme un phare moral. Ils apparaissent comme un acteur parmi d’autres — avec ses double standards, ses intérêts tactiques, ses silences gênés. Et pour leurs alliés, c’est le scepticisme qui l’emporte.

Certes, Trump peut revendiquer des succès. Il a porté des coups à l’Iran, renforcé les liens avec Israël, empêché l’éclatement de l’OTAN. S’il poursuit l’aide à l’Ukraine, il contribuera, de fait, à sanctuariser le principe d’inviolabilité territoriale. Mais sa rhétorique, son style, sa manière de déchirer les codes pourraient faire imploser la toile que les États-Unis avaient patiemment tissée pendant sept décennies.

L’Amérique cherche la ligne rouge au-delà de laquelle elle perdra le monde. Et elle semble dangereusement proche de l’atteindre.

Quand le gardien des normes devient leur fossoyeur

Le socle symbolique de l’ordre international d’après-guerre, c’est l’interdit fait à la conquête territoriale. Ce principe protège le monde du retour au droit du plus fort. Et c’est l’Amérique qui, des traités de San Francisco à la diplomatie de l’après-Guerre froide, en a été l’architecte principal.

Mais aujourd’hui, ce socle vacille — ébranlé par Washington lui-même.

Dans les discours de Donald Trump, des idées surgissent qui évoquent davantage le XIXᵉ siècle que le XXIᵉ : annexion du canal de Panama, achat de la Groenland, voire — fantaisie suprême — invasion du Canada. Ces divagations sont présentées non pas comme des provocations, mais comme des options stratégiques. Ce ne sont pas des blagues : ce sont les symptômes d’une mutation profonde du logiciel mental américain.

Quand la vice-présidente des États-Unis affirme que la Groenland serait « un excellent territoire » — en dépit des protestations danoises et de la volonté de ses habitants — ce n’est pas une saillie. C’est un signal. Celui d’un mépris assumé pour les normes qui, depuis 1945, ont structuré le monde. Si les États-Unis peuvent les bafouer, pourquoi les autres s’en priveraient-ils ?

L’autodestruction du système

Dans quelle autre période de l’histoire un hégémon aurait-il sciemment dynamité l’architecture de sa propre domination ? Rome a succombé sous les invasions barbares. L’Empire napoléonien fut défait par des coalitions. Celui de Londres s’est éteint, vidé par deux guerres mondiales. Mais l’ordre américain, lui, est miné de l’intérieur. Ce n’est pas l’ennemi qui le ronge. C’est le cœur du système qui s’autodévore. Par :

  1. une surcharge militaire chronique,
  2. un déséquilibre budgétaire délirant,
  3. une érosion des normes,
  4. une schizophrénie politique,
  5. une rhétorique où l’agression devient vertu et le désengagement, preuve de grandeur.

Le revanchisme, l’improvisation diplomatique, l’imprévisibilité présidentielle — tout cela transforme l’Amérique en fossoyeur de l’ordre qu’elle a jadis façonné. Et en propagateur d’un désordre systémique, dont aucune région ne sera à l’abri.

Henry Kissinger, dès les années 1960, pressentait la possibilité d’une catastrophe si le système américain persistait dans son aveuglement. Elle ne s’est pas produite. Beaucoup ont parié sur le déclin des États-Unis — et se sont trompés. Mais comme toujours avec les empires, il ne faut pas confondre résilience avec immortalité.

Si l’Amérique a survécu à tant de chocs, c’est parce qu’elle savait se réinventer, bâtir des coalitions, faire preuve de souplesse stratégique. Mais si elle choisit désormais la voie de l’autodestruction, ce n’est pas une erreur isolée qui la fera tomber — c’est l’addition de toutes.

Et aujourd’hui, cette addition est là, sous nos yeux. Surcharge militaire, irresponsabilité fiscale, affaiblissement institutionnel, sabotage des règles. Ce ne sont plus des menaces théoriques. Ce sont des réalités. L’effondrement n’a peut-être pas encore eu lieu. Mais il a commencé. Lentement. Inexorablement.

Et si l’Amérique se retirait ? Le monde au bord du précipice

Le retrait des États-Unis de la scène mondiale n’aurait rien d’une transition douce. Ce ne serait pas une réforme, mais une déflagration. Une mutation géopolitique brutale, aux conséquences incalculables. Car la fin de l’ordre américain ne signifie pas l’avènement d’un équilibre nouveau. Elle annonce l’irruption de forces bien réelles — autoritaires, anti-libérales, revanchardes — prêtes à s’engouffrer dans le vide laissé par Washington.

Ce monde d’après n’aura rien d’utopique. Ce sera un monde de coercition, de surveillance, de règlements de comptes. Un monde où :
– la démocratie ne s’exportera plus : elle se rendra,
– les droits humains ne seront plus un repère : ils deviendront une variable,
– l’ordre international cédera la place à une anarchie transactionnelle.

On pourra reprocher au Pax Americana ses biais, son hypocrisie, ses intérêts masqués derrière de grands principes. Mais il reposait sur une idée : celle de l’universalité des droits, de l’ouverture du monde, d’un certain minimum de règles partagées. Ce que propose l’alternative, c’est le chacun pour soi — sans filet, sans foi, sans garantie.

Trois scénarios pour une fin annoncée

Comment pourrait s’effondrer ce monde façonné par l’Amérique ? Trois trajectoires sont sur la table — et une quatrième les unit toutes.

Scénario 1 : l’implosion brutale — par la guerre.
Un conflit majeur à Taïwan, en mer de Chine méridionale ou au Proche-Orient. Un revers stratégique qui démontrerait l’incapacité des États-Unis à protéger leurs alliés. Et l’effet domino commencerait.

Scénario 2 : l’asphyxie économique — par l’endettement.
Un système rongé de l’intérieur, miné par les déficits, la perte de confiance dans le dollar, la fragmentation monétaire. Un affaiblissement sans bruit, mais fatal.

Scénario 3 : la décomposition politique et normative.
Une Amérique discréditée, devenue inaudible. Des alliés qui doutent, des rivaux enhardis. Un monde où la parole américaine ne fait plus loi.

Mais le plus inquiétant, c’est ce quatrième scénario qui se dessine déjà sous nos yeux : celui où ces trois crises se combinent.
La croisade de Donald Trump contre les institutions internationales, l’usage du commerce comme outil de chantage, les fantasmes d’annexion brandis en guise de stratégie — tout cela n’est plus une fiction. C’est notre présent.

Quand l’empire se cherche et que le monde retient son souffle

Les empires meurent de mille façons. Certains s’éteignent dans la fureur des armes. D’autres s’effondrent sous le poids de leurs dettes. D’autres encore se fanent, faute de croire encore en leur propre mythe.

L’Amérique a encore une chance. Elle peut se réinventer. Mais elle doit comprendre que l’hégémonie n’est pas un droit naturel. C’est une responsabilité. Qu’un ordre mondial n’est pas un privilège à exploiter, mais un engagement à honorer.

Si les États-Unis abandonnent ce rôle, il ne s’agira plus de nostalgie pour une grandeur passée. Il faudra apprendre à survivre dans un monde qu’ils ne dirigent plus. Un monde devenu étranger. Hostile. Impitoyable.

L’Histoire ne reconnaît aucun empire comme éternel. Mais elle respecte ceux qui savent quand il est temps de se réformer.

Et surtout, elle ne pardonne jamais le vide.

Si l’Amérique lâche les rênes, d’autres les prendront. Mais ce ne sera pas un monde de normes. Ce sera un monde de rapports de force. Un monde de prédateurs. Un monde où les lois seront dictées par Moscou, Pékin ou des coalitions d’autocrates.

La vraie question n’est pas de savoir si les États-Unis survivront à la fin de leur hégémonie.

La vraie question est : que restera-t-il du monde, une fois qu’ils auront abdiqué ?
Et surtout : ce monde-là, sommes-nous prêts à y vivre ?