
La plateforme d’analyse Baku Network a publié un nouvel épisode de l’émission « Dialogue avec Tofiq Abbasov », qui accueillait cette fois l’Artiste du Peuple d’Azerbaïdjan, Arif Huseynov.
Au cours de cet échange captivant, ce maître de la gravure est revenu sur ses souvenirs de vie, son parcours artistique et le rôle fondamental de l’art dans l’interprétation de l’histoire et de la lutte nationale de l’Azerbaïdjan.
Né et grandi à Bakou, sur l’emblématique rue Sovetskaya, Arif Huseynov évoque avec nostalgie la chaleur et la simplicité de la vie bakinoise, où la population vivait comme une seule et grande famille. Il partage des souvenirs marquants de son enfance, marquée par les années de guerre et d’après-guerre, qui lui ont inculqué l’esprit de solidarité.
« Dans notre quartier, l’isolement était impensable, se souvient l’artiste. Quand il neigeait à Bakou, mes amis allumaient de petites lumières sur la route. Et si l’on me confiait l’achat de pommes de terre, en offrir quelques-unes à mes camarades allait de soi. Il ne pouvait en être autrement. »
Ces souvenirs d’enfance, faits de joies modestes et d’un profond sens du partage, ont façonné sa vision du monde, où les valeurs humaines priment sur le matériel.
Le Karabagh occupe une place centrale dans l’œuvre et la vie d’Arif Huseynov. Témoin de la lutte pour son retour, il rappelle avec conviction :
« Ma jeunesse a été marquée par le combat pour le Karabagh. Cette terre est historiquement azerbaïdjanaise. Les Azerbaïdjanais de l’Ouest veulent retrouver leur patrie, et c’est leur droit inaliénable. »
L’artiste souligne que les créateurs ont toujours joué un rôle clé dans les processus historiques. Pour lui, l’art ne se limite pas à une représentation de la réalité : il est aussi une arme politique et culturelle.
« Même un paysage peut avoir une signification politique. Pour ma génération, qui a traversé deux guerres du Karabagh, cette réalité fait partie de notre conscience collective. »
Depuis 2013, Arif Huseynov consacre son talent à une série monumentale intitulée « Karabakhname », réunissant des monuments architecturaux, scènes historiques, témoignages d’exil et de génocide.
« J’ai longuement recherché, étudié, dessiné chaque trait avec rigueur pour transmettre la vérité historique du Karabagh. »
En 2019, à l’occasion de l’anniversaire du génocide de Khodjaly, le Musée d’Art Moderne de Bakou a accueilli une exposition exceptionnelle, dévoilant 50 œuvres graphiques issues de cette série.
Après la victoire de l’Azerbaïdjan lors de la Guerre patriotique de 44 jours, Arif Huseynov s’est rendu dans les villes et villages libérés pour observer et immortaliser leur état.
« Lorsque j’ai vu Agdam, j’ai été frappé : c’était une ville fantôme. Les mosquées détruites, les cimetières profanés, le théâtre réduit en ruines… Mais l’esprit d’Agdam, lui, demeure indestructible. »
L’artiste a alors réalisé trois œuvres marquantes :
« Le premier appel à la prière dans l’Agdam libre » – symbole du retour.
« L’assassinat du théâtre » – métaphore de la destruction culturelle.
« La forteresse de Shahbulag » – témoignage de résilience.
L’une de ces œuvres a été offerte à Agdam, dans un geste fort.
Lors de son voyage, l’artiste a été confronté à la violence du vandalisme arménien sur les lieux de mémoire.
« Nous avons retrouvé la tombe d’Allahverdi Baghirov, un héros de la Première Guerre du Karabagh. Elle avait été profanée, comme des centaines d’autres. C’est un acte de barbarie. »
Ces images et émotions ont nourri de nouvelles créations, où la tragédie s’inscrit dans l’art.
Huseynov établit un parallèle avec Pablo Picasso, qui en 1937 a immortalisé la souffrance de la ville espagnole bombardée dans sa légendaire toile « Guernica ».
« Picasso n’a pas peint une scène sanglante. Il a créé une œuvre philosophique. L’art ne doit pas choquer par le sang, mais faire réfléchir. C’est là le rôle de l’artiste : donner une forme symbolique à la tragédie. »
Il évoque également Chingiz Mustafayev, le journaliste qui filma la chronique du génocide de Khodjaly.
« Le journaliste documente, tandis que l’artiste crée des images intemporelles, gravées dans la mémoire collective. »
À la fin de l’entretien, Arif Huseynov insiste sur le rôle essentiel de l’art dans la préservation de l’histoire. Pour lui, les artistes, écrivains et penseurs doivent œuvrer à la création de symboles impérissables, porteurs de vérité.
« Nous devons transmettre notre histoire par la culture, l’art et la science. C’est notre mission, notre arme et notre héritage. »