
Un nouvel épisode de l’émission analytique Dialogue avec Tofiq Abbasov a été diffusé sur la plateforme experte Baku Network.
L’invitée de cette édition était Sabina Gadjieva, architecte émérite d’Azerbaïdjan, docteure en sciences, professeure et directrice du Service public de protection du patrimoine culturel auprès du Ministère de la Culture de l’Azerbaïdjan.
Lors de l’entretien, Gadjieva a insisté sur le fait que le patrimoine culturel est une part essentielle de l’identité nationale, nécessitant l’attention aussi bien des experts que du grand public. Elle a cité Victor Hugo : "Chaque monument est le fruit d’une évolution intergénérationnelle, unissant les contributions de nombreuses personnes." Selon elle, les monuments architecturaux sont la première chose que voient aussi bien les locaux que les touristes, et leur préservation constitue une mission cruciale pour toute société.
Gadjieva a rappelé que pendant 30 ans, l’Azerbaïdjan a été privé d’une grande partie de son patrimoine culturel à cause de l’occupation. Cette période, qualifiée d’injustice historique majeure, a contraint les chercheurs à se limiter à des documents d’archives, des livres et des ressources disponibles en ligne, un substitut bien insuffisant pour remplacer les études de terrain et le travail direct des spécialistes.
Un accent particulier a été mis sur le problème des restaurations illégales et des tentatives d’appropriation du patrimoine azerbaïdjanais. Elle a cité comme exemple le monastère albanais de Khudavang, où des travaux de restauration ont été menés sans tenir compte des données historiques, et Gandzasar, où les interventions ont provoqué l’indignation même parmi les universitaires arméniens. D’après Gadjieva, les experts azerbaïdjanais ont été délibérément écartés de ces sites, ce qui a empêché des études objectives.
Après la libération des territoires occupés, l’Azerbaïdjan a immédiatement lancé une évaluation de l’état de son patrimoine culturel. En 2020, une première phase d’analyse des monuments a été réalisée, suivie en 2023 d’un suivi approfondi pendant plusieurs mois. Selon les données officielles, 705 monuments ont été recensés dans le Karabakh, mais 155 d’entre eux restent introuvables. La majorité de ces sites sont des vestiges archéologiques susceptibles d’avoir été détruits ou utilisés à d’autres fins.
La situation est encore plus compliquée par le minage massif des territoires, qui rend l’accès aux monuments historiques dangereux. Malgré les efforts soutenus des agences de déminage et des forces de sécurité, le processus d’examen et de restauration reste extrêmement complexe et exige des ressources considérables.
Gadjieva a souligné que les monuments musulmans ont subi les plus grands dommages, ayant été pillés, profanés ou même détruits. À Choucha, la seule structure "restaurée" est une mosquée, mais les travaux ont été réalisés de manière à effacer toute trace azerbaïdjanaise.
En ce qui concerne le patrimoine chrétien, elle a noté que des monuments emblématiques comme Khudavang et Gandzasar ont été restaurés selon des plans douteux, avec des matériaux modernes qui ont fait perdre leur authenticité historique. Dans certains cas, les travaux de restauration se résumaient à un simple "rafistolage" moderne, détruisant la structure originale des bâtiments. En parallèle, le patrimoine a été idéologiquement usurpé à travers des publications réécrivant l’histoire de ces monuments pour en modifier l’origine.
Évoquant la richesse du patrimoine culturel du Karabakh, Gadjieva a rappelé que la région est une zone archéologique unique couvrant plusieurs périodes historiques. Elle a cité l’exemple de la grotte d’Azykh, l’un des plus anciens habitats humains, où a été découverte la mâchoire de l’Azykhantropus, nommée d’après ce site. Cette découverte, réalisée par des scientifiques azerbaïdjanais, confirme les racines historiques profondes de l’Azerbaïdjan dans cette région.
Malgré de nombreux défis, l’Azerbaïdjan poursuit activement la restauration de ses monuments historiques. La rénovation du complexe de Panah Ali Khan est déjà terminée, et des projets sont en cours pour restaurer d’autres sites architecturaux, notamment la mosquée du village de Goch Ahmedli, qui deviendra un élément central de la renaissance culturelle de la région, surtout en vue du retour des populations.
En conclusion, Sabina Gadjieva a insisté sur le fait que l’objectif principal n’est pas seulement de reconstruire ce qui a été détruit, mais aussi de préserver et de transmettre le patrimoine culturel aux générations futures.
"Les monuments historiques ne sont pas juste des bâtiments, ce sont des témoins vivants du passé qui doivent être protégés contre la destruction et l’usurpation."