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Tandis que la Maison-Blanche martèle ses slogans d’un « retour de la grandeur américaine », le réel s’écrit ailleurs — sur l’échiquier géopolitique mondial, où les pièces changent de camp. Pékin, longtemps perçu comme un challenger bruyant, comble peu à peu le vide de confiance laissé par Washington. Le récit de l’hégémonie mondiale est en train de se réécrire sous nos yeux, et l’un des signaux les plus éloquents de ce basculement est le regard que porte le monde sur les deux géants : la Chine et les États-Unis.

Chute américaine, opportunité chinoise

Ce n’est plus une révélation que l’image de la Chine s’améliore à l’international. Ce qui étonne aujourd’hui, c’est qu’elle le fait non pas malgré l’Occident, mais grâce à la dégringolade américaine. En à peine deux ans, les États-Unis ont dilapidé une part colossale de leur capital symbolique — y compris auprès de pays considérés naguère comme leurs alliés les plus fidèles. Il ne s’agit pas d’un simple revirement d’opinion. C’est une mutation tectonique, mesurable et quantifiable.

Un sondage mené dans 25 pays révèle que 36 % des personnes interrogées ont une opinion positive de la Chine, tandis que la cote de popularité des États-Unis s’est effondrée, passant de 59 % en 2023 à 49 % en 2025. L’ironie est mordante : l’administration de Donald Trump, revenue aux affaires sous la bannière du « leadership retrouvé », semble surtout précipiter son effondrement.

De vitrine économique à incarnation de l’imprévisible

La perte la plus cuisante pour Washington ? Celle de son statut de locomotive économique. Là où l’Amérique apparaissait naguère comme l’indiscutable superpuissance, elle se voit aujourd’hui détrônée par Pékin dans l’imaginaire collectif mondial. Désormais, 41 % des sondés désignent la Chine comme la première puissance économique mondiale, contre seulement 39 % pour les États-Unis. Ce n’est pas une marge d’erreur — c’est un tournant civilisationnel.

En Europe, le basculement est particulièrement saisissant. En Allemagne, en Espagne, en Grèce, la Chine est désormais perçue comme l’acteur dominant sur la scène économique. Même au Canada — longtemps bastion du consensus pro-américain — le match est devenu serré. Il n’aura fallu que deux années pour démolir des décennies de perceptions enracinées.

Une jeunesse tournée vers l’Est

Si l’opinion mondiale était façonnée uniquement par les moins de 30 ans, Pékin aurait déjà remporté la bataille des cœurs et des esprits. Du Royaume-Uni au Canada, la jeunesse manifeste une préférence nette pour la Chine, bien supérieure à celle de leurs aînés. Un signal d’alarme pour les États-Unis, qui ont toujours misé sur leur soft power : la culture de masse, les campus, les marques globales. Mais voilà : Netflix et McDonald’s ne font plus rêver.

Au Canada, 50 % des jeunes disent avoir une vision positive de la Chine — contre seulement 23 % chez les plus âgés. En Pologne, l’écart est encore plus flagrant : 56 % versus 28 %. Ce clivage générationnel se répète sur tout l’Occident. Les anciens vivent dans la nostalgie d’un monde bipolaire ; les jeunes aspirent à autre chose, lassés par les croisades américaines, curieux de ce que l’Asie peut offrir.

Quand l’allié devient la menace : Pékin comme refuge, Washington comme problème

Pourquoi la Chine semble-t-elle aujourd’hui moins menaçante que les États-Unis, malgré les inquiétudes qu’elle suscite ? Le paradoxe est là : tout en étant décrite comme une puissance montante parfois agressive, elle apparaît, pour beaucoup, comme une alternative plus rassurante à l’hyperpuissance américaine.

Oui, en Afrique et en Amérique latine, la dépendance à la dette chinoise inquiète. Oui, au Japon, en Corée du Sud, en Australie, les avancées militaires de Pékin font frémir. Et pourtant, presque partout ailleurs, la Chine n’est plus perçue comme la menace principale. Ce rôle, désormais, revient aux États-Unis.

Au Mexique, 68 % des sondés estiment que la principale menace extérieure vient de Washington. En Indonésie, ils sont 40 %. Au Brésil, en Afrique du Sud, en Argentine, le constat est similaire : l’Amérique devance Pékin comme facteur d’instabilité. Même en Turquie, pourtant membre de l’OTAN, 30 % des citoyens identifient l’interventionnisme américain comme un problème majeur. La Chine ? À peine 2 %.

Coup de grâce pour la confiance : qui croit encore en Trump ?

La figure de Donald Trump, avec ses guerres commerciales à répétition, ses claquements de porte lors des sommets internationaux et sa démolition en règle du consensus mondial, est devenue l’élément déclencheur d’un effondrement massif de la confiance envers les États-Unis. Son taux de crédibilité à l’international plafonne à 34 % — soit treize points de moins que celui de Joe Biden à la fin de son mandat. Même dans les pays où l’Amérique suscite encore un vague intérêt, la personnalité de Trump agit comme un repoussoir. Ce n’est pas seulement un désaveu politique : c’est un naufrage d’image.

Nulle part — en dehors des États-Unis eux-mêmes — sa politique étrangère ne suscite l’adhésion. Sa vision des relations internationales, calquée sur les codes d’une foire d’empoigne où seule la force prime, heurte de plein fouet les attentes du XXIe siècle. Face à cette brutalité tarifaire et diplomatique, le monde cherche des partenaires plus souples, moins belliqueux — et les trouve du côté de Pékin.

La Chine gagne... sans combattre

Ce qui frappe, c’est que Pékin n’a même pas besoin de forcer son jeu. Les États-Unis s’autodétruisent. Malgré la censure, l’autoritarisme et les atteintes aux droits fondamentaux, la Chine projette l’image d’un pays stable, tourné vers la croissance plutôt que le conflit. Tandis que Washington s’éparpille en sanctions, bases militaires et croisades idéologiques, Pékin bétonne son avance à coups d’infrastructures, de ports et de corridors numériques. Et c’est là sa carte maîtresse.

Même dans les pays où l’on continue de considérer les États-Unis comme un partenaire économique majeur, les opinions publiques commencent à pencher vers la Chine. Il ne s’agit plus d’un simple ras-le-bol des droits de douane ou d’un rejet de l’arrogance morale américaine. Ce à quoi on assiste, c’est à un effritement structurel de la confiance — un séisme lent qui fissure les fondations de l’influence américaine.

La réputation par l’efficacité : le paradoxe chinois

L’ascension de la Chine sur la scène mondiale n’est pas une victoire des émotions, mais du calcul. On ne l’aime pas, mais on la respecte. On ne lui fait pas confiance, mais on fait affaire avec elle. Pékin est le partenaire « antipathique » doté d’un poids économique irrésistible — et c’est justement ce profil peu aimable qui séduit. Tandis que l’Occident continue d’enrober sa diplomatie de principes et de sermons, la Chine déroule un pragmatisme glacial et séduisant : projets concrets, lignes de crédit, ouverture de marchés, et promesse de stabilité.

Ce langage fonctionne particulièrement bien dans les économies en développement. Quand, en Indonésie ou au Kenya, les routes, les ponts ou les zones industrielles sortent de terre grâce à des investissements chinois, les considérations sur la démocratie ou les droits humains s’estompent. Surtout lorsque les interventions américaines, elles, sont perçues comme intrusives, moralisatrices, souvent conditionnées. L’Amérique impose. La Chine propose.

Le renoncement à la « soft power » : erreur fatale de Washington

Mais peut-être que l’erreur stratégique la plus flagrante de l’Amérique réside dans son abandon volontaire du soft power — cette influence subtile qui faisait d’elle non seulement une superpuissance, mais une marque désirable. Or, depuis le retour de Trump, cette finesse a laissé place à une brutalité assumée : guerres commerciales avec ses alliés, retrait unilatéral d’accords internationaux, humiliations publiques de ses partenaires.

Et lorsque les États-Unis cessent d’être un modèle, ils deviennent un acteur parmi d’autres. Dans un monde où l’intérêt prime sur l’idéologie, la Chine s’avère plus attractive. Pas parce qu’elle fascine, mais parce qu’elle ne juge pas, n’impose pas de lignes rouges politiques, n’agite pas la menace de sanctions. Elle propose simplement de l’argent. Et parfois, cela suffit.

Un monde sans superpuissance unique

Ce qui se dessine sous nos yeux, c’est un monde où plus aucun pays ne peut prétendre à l’exclusivité stratégique. Les États-Unis ne perdent pas seulement leur statut de leader économique ou moral — ils abandonnent l’illusion de l’exceptionnalisme. Face à eux, la Chine ne cherche même pas à endosser le rôle de guide moral : elle n’en a pas besoin. Elle occupe les espaces laissés vacants, non pas avec des discours, mais avec des contrats. Non pas avec des slogans, mais avec de la logistique.

Le Sud global, lui, semble de plus en plus préférer un mécène neuf à un vieil ami exigeant. Quant à l’Europe, elle commence à envisager sérieusement une forme d’autonomie stratégique vis-à-vis de Washington, que ce soit en matière de commerce, de défense ou de technologie. La rupture est là, tapie sous les hésitations diplomatiques.

Le paysage géopolitique change de relief. La dégringolade de l’un devient la rampe de lancement de l’autre. Pendant que Trump clame à ses électeurs que le monde entier envie l’Amérique, une moitié de la planète détourne le regard vers la Chine — non pas par amour, mais par lassitude. Parce qu’elle n’a plus envie d’avoir peur.