
À La Haye, lors d’un sommet de l’OTAN qui s’est conclu en juin, les 32 pays membres ont acté une décision qui, il y a encore quelques années, aurait paru impensable : hisser les dépenses militaires à 5 % du PIB d’ici 2035. Une résolution adoptée à l’unanimité, signe que le Vieux Continent a définitivement basculé dans une nouvelle ère — celle d’un réarmement massif et d’une affirmation stratégique sans précédent. Entre la menace persistante venue de Russie et le refroidissement du lien transatlantique avec l’administration du président Trump, l’Union européenne se voit sommée de bâtir enfin une autonomie de défense digne de ce nom.
Sur le papier, cette doctrine a de quoi séduire : elle promet de doper la croissance et de soutenir l’emploi. Mais à moyen terme, l’addition pourrait s’avérer salée : explosion des dettes publiques, coupes claires dans les filets sociaux, cure d’austérité musclée en embuscade.
Le signal politique, martelé par les dirigeants européens, n’a laissé place à aucun doute : il n’est plus question de miser aveuglément sur le parapluie sécuritaire américain, d’autant que les divergences avec Washington s’accumulent. Selon un Eurobaromètre mené à l’automne 2024, pour la première fois un tiers des citoyens de l’Union plaçaient la sécurité et la défense au-dessus de la question migratoire et même de l’économie. En Finlande, en Pologne et dans les pays baltes, presque un habitant sur deux se disait préoccupé par la sécurité, tandis qu’en Espagne ou en Grèce, plus éloignées des lignes russes, l’anxiété restait bien moindre.
Dans le même temps, les États-Unis s’éloignent peu à peu de leur posture traditionnelle de « gendarme » du continent, exhortant leurs alliés à investir davantage dans leurs propres armées. Un nouveau logiciel stratégique se dessine, tant à Washington qu’à Bruxelles : l’Europe doit « grandir » et prendre à bras-le-corps la défense de ses citoyens. L’équation est brutale : la guerre à ses portes, l’engagement américain moins fiable, et une opinion publique globalement favorable à la cause ukrainienne ont forcé Bruxelles à accélérer son réarmement.
Dès l’été 2024, la Commission européenne a d’ailleurs lâché le chiffre vertigineux : quelque 500 milliards d’euros d’investissements militaires supplémentaires seraient nécessaires sur dix ans, ne serait-ce que pour reconstituer des stocks d’armements à bout de souffle et colmater les brèches de la défense européenne.
En mars 2025, Ursula von der Leyen a présenté le plan-fleuve « Readiness 2030 », déjà surnommé par les éditorialistes le « réarmement de l’Europe ». Ce programme prévoit de mobiliser près de 800 milliards d’euros. Dans le détail, 150 milliards viendraient sous forme de lignes de crédit, et la révision temporaire des règles budgétaires permettrait aux États membres de débloquer jusqu’à 650 milliards supplémentaires pour leurs propres programmes militaires.
Un calendrier serré se dessine : selon l’OTAN, un scénario d’offensive russe pourrait se matérialiser d’ici trois à cinq ans, ce qui fixe l’horizon 2030 comme date butoir pour l’ensemble de la manœuvre.
La Commission européenne a noir sur blanc pointé les risques croissants, en brandissant des chiffres sans appel. Même si l’ensemble des pays de l’UE membres de l’OTAN atteignaient enfin l’ancien seuil de 2 % de leur PIB pour la défense, cela ne dégagerait « que » 60 milliards d’euros — une somme jugée dérisoire face aux défis actuels. D’où l’appel à franchir un cap et à injecter 500 milliards d’euros supplémentaires sur dix ans. L’objectif final de « Readiness 2030 » est limpide : atteindre la barre des 800 milliards d’euros d’ici la fin de la décennie.
Dans cette équation, la responsabilité première repose sur les gouvernements nationaux. L’Union européenne, elle, jouera surtout le rôle de catalyseur via ses instruments de prêt et quelques programmes conjoints : systèmes de défense antimissile, drones, cyberdéfense, logistique et mobilité des troupes. La nouvelle ligne de crédit de 150 milliards a d’ailleurs été baptisée « SAFE » — pour Security Assistance for Europe.
Afin d’éviter d’asphyxier les budgets nationaux, Bruxelles prévoit d’assouplir le Pacte de stabilité entre 2025 et 2028 : concrètement, les États pourront relever leurs dépenses militaires de 1,5 % du PIB par an, sans que cela ne soit compté comme un écart de déficit budgétaire. Ce levier devrait libérer environ 650 milliards d’euros dans les comptes publics. Parallèlement, la Banque européenne d’investissement sera invitée à muscler ses prêts en faveur des projets de défense, tandis que la Commission elle-même s’engagera à coordonner les achats pour éviter la dispersion des efforts et rationaliser les coûts.
Ce cocktail — 150 milliards d’euros de crédits, plus jusqu’à 650 milliards d’euros mobilisés par les États — constitue donc la fameuse enveloppe de 800 milliards annoncée par Ursula von der Leyen.
Point crucial : cette stratégie ne vise pas à court-circuiter l’OTAN, mais à la compléter. Autrement dit, les armées européennes doivent pouvoir tenir debout, tout en conservant la synergie avec les forces américaines et les entraînements conjoints. Bruxelles martèle : muscler la défense de l’Europe, c’est aussi, in fine, consolider l’Alliance atlantique à l’horizon 2030.
« 450 millions d’Européens ne peuvent pas continuer à dépendre de 340 millions d’Américains pour assurer leur sécurité », a martelé le tout premier commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius.
Du côté des experts de l’IISS (International Institute for Strategic Studies), le pronostic est plutôt serein : cette montée en puissance de la défense européenne ne devrait pas affaiblir l’OTAN, mais au contraire la renforcer, en dopant la capacité de réaction de l’ensemble de l’alliance.
Le carnet de commandes d’une Europe en réarmement
Le tout nouveau dispositif SAFE, imaginé par Bruxelles, se veut le bras armé d’un vaste rééquipement : priorité absolue à la défense aérienne et antimissile, au renforcement de l’artillerie de nouvelle génération, à la reconstitution des stocks de munitions, à l’acquisition de drones et de technologies antidrones. Dans le viseur, également, des domaines jugés stratégiques : cybersécurité, communications satellitaires, infrastructures critiques. La Commission a dressé une cartographie de près de 500 goulets d’étranglement dans les réseaux de transport — de l’élargissement des tunnels ferroviaires à la modernisation des ponts, en passant par la refonte des ports et des aéroports — pour permettre un acheminement rapide des troupes et du matériel à travers tout le continent.
Autre credo de Bruxelles : muscler la base industrielle de défense européenne. Pas question de laisser filer la manne hors du continent : la règle posée est claire, la nouvelle génération d’équipements devra être « Made in Europe », avec au moins 65 % de composants provenant de l’Espace économique européen ou d’Ukraine. Objectif : réduire la dépendance aux importations tout en redonnant un second souffle au génie industriel et technologique européen.
En filigrane, la Commission pousse à la concentration du secteur. Moins d’acteurs dispersés, plus de coopérations puissantes : voilà le mantra. Pour y parvenir, on propose doper l’aide publique aux fabricants d’armes, sabrer dans les tracasseries administratives à travers un programme baptisé Defence Omnibus Simplification, et fluidifier un marché commun des achats de défense encore trop morcelé. À la clé, les experts misent sur un véritable boom d’alliances paneuropéennes et, à terme, sur des fusions de champions de l’armement.
Il faudra aussi bâtir des stocks robustes de munitions et de pièces détachées, harmoniser les standards techniques et garantir un carnet de commandes régulier aux usines. La Commission, dans ses documents, n’y va pas par quatre chemins : il s’agira de compenser les envois d’armements destinés à l’Ukraine et de « restaurer des capacités perdues » après des décennies de sous-investissement chronique. Concrètement, le fameux paquet de 800 milliards couvrira à la fois des chars, des avions, des missiles, la modernisation des infrastructures et l’extension de la capacité de production. Avec une clause quasi impérative : tout projet de grande ampleur financé sur fonds SAFE devra impliquer au moins deux pays membres, par exemple pour la construction d’une nouvelle usine de missiles.
La défense au service du calcul : qui en sort gagnant ?
In fine, ces dépenses militaires, c’est ni plus ni moins que de l’investissement public, au même titre que des subventions industrielles — avec, en prime, un effet de levier quasi garanti sur l’économie. Les prévisions des analystes européens sont sans ambiguïté : entre 2026 et 2027, la vague de commandes pourrait gonfler la croissance de 0,1 à 0,2 %, à condition que la majeure partie des budgets reste injectée sur le sol européen. Une étude de Goldman Sachs abonde : pour chaque tranche de 100 euros investis en défense, l’économie pourrait encaisser 50 euros de PIB supplémentaires, grâce à un multiplicateur de 0,5 — à condition encore, bien sûr, de réduire la dépendance aux importations.
Les experts de l’Institut de l’économie mondiale de Kiel se montrent encore plus audacieux : à 3,5 % du PIB, orientés vers des commandes de haute technologie, les budgets militaires pourraient doper la croissance intérieure de 0,9 à 1,5 % par an. Car l’investissement de défense, martèlent-ils, est un moteur puissant pour l’innovation, de l’intelligence artificielle aux nouveaux matériaux, sans oublier la cybersécurité.
Mais l’ancien cap de 3 % du PIB est déjà rangé au placard. En janvier 2025, le président Trump a posé son ultimatum : 5 % du PIB, pas moins, pour chacun des alliés de l’OTAN. Ce qui avait d’abord fait bondir nombre de gouvernements européens — à commencer par Berlin — est en passe d’être digéré. Début juin, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius a consenti à grimper à 5 %, tandis que 14 pays d’Europe du Nord, de l’Est et du Centre ont publiquement emboîté le pas.
Le 25 juin, la messe était dite au sommet de l’OTAN : objectif 5 % d’ici 2035, acté, même si l’Espagne a longtemps freiné des quatre fers. Pedro Sánchez a bien tenté de torpiller la mesure, la jugeant « irréaliste » et « contre-productive », mais il a dû, in fine, se rallier au compromis.
Madrid n’a pas renoncé pour autant à jouer sa propre partition. Forte d’une croissance solide (+3,2 % en 2024) et de recettes fiscales records, l’Espagne a décidé cette année d’injecter 10,5 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre les 2 % du PIB fixés par l’OTAN. Ces fonds irrigueront la construction navale, l’aéronautique et l’électronique nationale, avec l’ambition de créer jusqu’à 100 000 emplois. Sánchez promet, la main sur le cœur, que ces efforts ne rogneront ni sur les retraites ni sur la santé.
La production d’armes en mode « économie de guerre »
Côté industriels, personne ne se fait d’illusions : même si la guerre en Ukraine venait à s’éteindre, la demande en armement en Europe restera solide. Pour Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, la Russie a déjà basculé toute sa filière militaire en mode mobilisation — l’Europe, dit-elle, doit se doter d’un plan de bataille à long terme.
Le marché n’a pas attendu le signal : le groupe allemand Rheinmetall a déjà annoncé le doublement de ses capacités de production de munitions et la construction de nouvelles usines pour réalimenter des stocks à sec. Son patron, Armin Papperger, se félicite d’un carnet de commandes florissant. À ses yeux, le passage du budget militaire allemand à 2,5 ou 3 % du PIB devrait rapporter 60 à 70 milliards d’euros par an, et Rheinmetall est prête à investir à la hauteur de ces ambitions.
Même son de cloche chez le suédois Saab, dont le patron Micael Johansson plaide pour standardiser les acquisitions d’armements et les massifier, plutôt que de bricoler des solutions pays par pays. Selon lui, les Européens montrent de plus en plus d’appétit pour le partage de technologies et la mise en commun des moyens, posant les bases de véritables chaînes de production transnationales.
En Italie, le directeur général de Leonardo, Roberto Cingolani, applaudit la même dynamique. À ses yeux, l’appel de Trump à une « Europe forte » est en parfaite adéquation avec la stratégie de Leonardo en matière de projets et de consortiums de défense transfrontaliers.
La sécurité à crédit : les chausse-trappes d’une Europe réarmée
Ce grand bond en avant militaire, aussi spectaculaire soit-il, charrie son lot de risques. Ces 800 milliards d’euros ne tombent pas du ciel. Certes, la Commission européenne table sur un effet positif sur le PIB, mais ses propres prévisions mentionnent aussi un alourdissement marqué de la dette publique. L’agence de notation Fitch a déjà tiré la sonnette d’alarme : sans garde-fous, le déficit budgétaire de l’UE pourrait grimper de 3 % à 6 % du PIB en l’espace de quelques années.
Et certains pays partent déjà avec un handicap lourd. L’Italie, par exemple, aborde ce nouveau cycle de défense avec un ratio dette/PIB flirtant avec les 150 %, tandis que la Grèce dépasse les 200 %. Aujourd’hui, ces deux pays tiennent leur effort militaire à 2 % du PIB, et toute montée en puissance sans coupes drastiques ou réforme fiscale pourrait peser sur leur note de crédit. L’Allemagne et la France, dotées de finances plus solides, visent sans trembler les 3 %, mais pour Athènes ou Rome, la pilule serait autrement plus amère.
Autre sujet d’inquiétude : le risque d’éviction des politiques sociales. Des organisations syndicales et des acteurs de l’économie dénoncent déjà le projet de puiser jusqu’à 400 milliards d’euros dans les fonds de cohésion de l’UE pour consolider la défense des zones frontalières — des fonds qui, jusqu’ici, servaient à soutenir l’emploi et les infrastructures locales.
Pour calmer le jeu, la Commission vante les retombées en matière d’emplois et d’innovation, brandissant la défense comme un catalyseur de progrès technologique. Mais les syndicats et une partie du spectre politique n’en démordent pas : la crainte est réelle que ces transferts budgétaires sapent les filets sociaux et alimentent le ressentiment, au bénéfice de l’extrême droite qui prospère sur la colère populaire. Cet écueil politique est sans doute la menace la plus sourde qui pèse sur la viabilité à long terme de cette grande aventure militaire européenne.
Rediriger les fonds européens : un tremplin pour les radicaux ?
Le choix de Bruxelles de sortir provisoirement les dépenses de défense des contraintes budgétaires (entre 2025 et 2028) ne fera que retarder l’échéance. Après cette parenthèse, les gouvernements devront fatalement revenir à l’orthodoxie financière. Les économistes préviennent : plus la dette publique grossit, plus les taux d’intérêt montent, et derrière, se profilent de nouvelles taxes, voire une cure sur les retraites.
Klaas Knot, membre du directoire de la BCE et patron de la banque centrale néerlandaise, ne mâche pas ses mots : oui, il faut investir dans la défense, mais ce sera forcément synonyme de dettes accrues, donc de maux pour la politique monétaire.
À moyen terme, les signaux d’alerte s’accumulent. Le FMI, dans une note récente, rappelle que le cocktail explosif entre vieillissement démographique, défis climatiques et impératifs militaires pourrait faire grimper la pression budgétaire de l’Europe de 6 à 8 % du PIB d’ici 2050. Selon la Banque centrale européenne, la seule manière de financer des ambitions de cette ampleur passera par une émission massive d’obligations publiques — un test grandeur nature pour la profondeur des marchés de la dette, surtout pour des pays déjà lourdement endettés comme la Grèce ou l’Italie.
Et sur le plan politique, les lignes de fracture restent béantes. Le Premier ministre slovaque Robert Fico, fidèle à sa ligne souverainiste, a encore réaffirmé qu’une forme de neutralité « pourrait être bénéfique » pour son pays. Quant à Viktor Orban, il campe sur sa méfiance : le dirigeant hongrois refuse obstinément d’accroître les budgets militaires et reste prêt à bloquer à tout moment les décisions de Bruxelles. La preuve : à peine deux jours avant le sommet de juin, la Hongrie et la Slovaquie ont mis leur veto à un nouveau paquet de sanctions contre la Russie — une habitude, désormais.
Les observateurs s’accordent à dire que l’avenir de l’ensemble du projet ne se jouera pas sur les milliards alignés dans les communiqués, mais bien sur l’exécution concrète.
L’économiste Guntram Wolff, du think tank Bruegel, se veut confiant sur la capacité de production européenne à monter en puissance. Mais il alerte : la bureaucratie et la mauvaise coordination entre États membres risquent de gripper la machine, retardant les livraisons et dilapidant des fonds pourtant colossaux.
Si l’argent reste centré sur la production européenne et nourrit l’innovation, les bénéfices pourraient être considérables. Dans le cas contraire — si les importations explosent, si le déficit se creuse, si les politiques sociales trinquent — le retour de bâton s’annonce sévère, et la contestation politique, d’une violence à la mesure des espoirs déçus.
Les guerres commerciales, poison lent des ambitions militaires européennes
Le grand projet de réarmement de l’Europe pourrait se heurter à un obstacle de taille : l’escalade commerciale. Après l’annonce par le président Trump de droits de douane de 25 % sur l’acier et l’aluminium, ainsi que de 20 % sur un large éventail de produits européens, les industriels du Vieux Continent ont fait leurs comptes : près de 26 milliards d’euros d’exportations sont désormais sur la sellette. En représailles, Bruxelles a riposté avec des mesures miroirs visant pour 28 milliards de dollars de produits américains.
Cet affrontement douanier frappe de plein fouet la sidérurgie européenne, avec un effet domino quasi immédiat sur le coût des blindés, des navires et de l’aéronautique. Andrea Nahles, directrice de l’agence fédérale pour l’emploi en Allemagne, l’a reconnu sans détour : « L’imprévisibilité de la politique commerciale américaine est devenue un fardeau pour le marché du travail allemand » — elle pourrait coûter 90 000 emplois en une seule année.
Ces tensions permanentes pèsent sur l’ensemble de la conjoncture. Avant même cette salve de sanctions, la BCE ne tablait déjà plus que sur une croissance de 0,9 % du PIB européen en 2025. Et Derek Bisaccio, analyste spécialiste des marchés de la défense, alerte : les gouvernements européens doivent affronter à la fois un essoufflement de l’économie et des déséquilibres budgétaires grandissants, ce qui rend tout effort supplémentaire en matière militaire encore plus ardu.
Si la guerre commerciale mondiale devait perdurer, la facture pourrait s’alourdir sur tous les fronts : énergie, métaux rares, composants électroniques — tous indispensables à la production d’armements modernes — verraient leurs prix s’envoler. L’industrie de défense européenne perdrait son avantage compétitif face à l’import asiatique moins cher. Perturbations logistiques, barrières tarifaires, inflation : tout cela alimente un cocktail toxique qui ferait grimper le coût du crédit et étranglerait les finances publiques, menaçant directement les financements des programmes militaires.
En clair, faute de stabiliser son commerce extérieur, l’Europe risque de transformer ses promesses de réarmement en vaines incantations. Certes, Bruxelles mise sur des achats mutualisés pour contenir les coûts, mais le moindre choc géopolitique pourrait pulvériser ces équilibres fragiles. Dans ce scénario, le grand chantier de défense à plusieurs centaines de milliards d’euros deviendrait l’otage d’une instabilité mondiale hors de contrôle.
Du pain et des chars : la ligne de crête des prévisions
Le programme de « réarmement » européen n’est sans doute qu’une étape initiale. À l’OTAN, on s’inquiète déjà : la vieille référence des 2 % de PIB n’est plus jugée à la hauteur. Son secrétaire général, Mark Rutte, l’a affirmé : renforcer durablement les armées exigera probablement de dépasser la barre des 3 %. À Washington, on ne s’en cache pas non plus. Le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, épaulé par son homologue allemand Boris Pistorius, martèle que la norme de l’OTAN est dépassée, et laisse entendre que le futur standard pourrait s’établir à 5 % du PIB.
Pour autant, il serait hasardeux de balayer d’un revers de main le plan actuel. L’initiative « Readiness 2030 » ne se résume pas à gonfler aveuglément les budgets : elle mise sur des achats coordonnés, des innovations technologiques, la synchronisation des projets. C’est ce modèle, plaide Rutte, qui permettra de tenir la trajectoire budgétaire et d’optimiser chaque euro dépensé. Ce n’est pas un hasard si les documents officiels de l’UE répètent à l’envi : « acheter européen et mutualiser » — afin de maximiser l’effet de levier sur l’investissement.
Au bout du compte, le raisonnement des dirigeants européens est limpide : la sécurité et la stabilité ont un prix. Investir dans la défense, c’est peut-être un mal nécessaire, mais c’est un mal jugé légitime. Et pour les citoyens européens, la question clé reste la même : les bénéfices immédiats — emploi, progrès technologique — pèseront-ils assez lourd face aux risques de long terme qui pourraient grever durablement les finances publiques ?
Il appartiendra aux responsables politiques de trouver le fragile équilibre entre la relance de l’activité industrielle que promettent ces programmes de défense et la sauvegarde des priorités sociales, afin que ces milliards ne vampirisent pas d’autres piliers essentiels de la société.