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L’économie américaine entre dans une phase inédite : celle d’une stabilité paradoxale. Sur le papier, tout semble au beau fixe : un taux de chômage sous la barre des 4 %, une inflation maîtrisée, des fusions-acquisitions en plein essor, un S&P 500 qui tutoie les sommets historiques. Une façade presque idyllique, comme un retour à la normalité d’avant-crise. Mais derrière cette vitrine rassurante, un autre paysage se dessine : plus les indicateurs conjoncturels inspirent confiance, plus les projections à long terme se dérobent sous les pieds.

Ce qui se joue en 2025 n’a rien d’un simple cycle récessif ou d’un soubresaut passager. C’est une mutation systémique, qui affecte les fondements mêmes du comportement économique. Les États-Unis ne traversent ni une crise ni un boom, mais une période de tension institutionnelle, où la menace vient non pas de l’extérieur, mais du cœur même de l’État. Car c’est désormais la gouvernance — imprévisible, erratique — qui devient le principal facteur d’instabilité.

Les entreprises ne désertent pas les investissements, mais elles avancent à pas comptés. Les prévisions se raccourcissent, les analyses de risque s’épaississent. La vision stratégique cède la place au pilotage à vue. D’après le Conference Board, 68 % des PDG américains interrogés en 2025 pointent la "volatilité politique et l’imprévisibilité" comme frein majeur à l’investissement. C’est une première historique : ce facteur détrône l’inflation et les taux d’intérêt comme principale source d’inquiétude.

Le temps de l’"exceptionnalisme américain", moteur de la confiance globale, touche à sa fin. Place à une "relativité institutionnelle", où Washington n’offre plus de garanties de cohérence. D’où cette impression croissante d’un horizon qui se rétrécit : les investisseurs ne cherchent plus la croissance, mais les sorties de secours. Ce changement de paradigme fissure le pacte fondateur du capitalisme moderne : celui d’un cadre de règles stables et prévisibles.

C’est là tout le paradoxe américain en 2025 : des chiffres solides, une assise fragile. L’essentiel n’est plus dans les rapports trimestriels, mais dans ce qu’ils ne montrent pas : le degré de confiance envers les institutions, la qualité de la décision publique, la capacité de l’État à incarner un cap — pas seulement à arbitrer. Si l’Amérique ne parvient plus à définir les règles du jeu mondial, elle cesse d’être le centre de gravité de l’économie globale. Et la "stabilité" devient alors le masque trompeur d’un basculement en profondeur.

Croissance sans cap : le pilotage sans horizon

La mécanique de l’économie américaine montre un décrochage stratégique de plus en plus marqué entre les équilibres à court terme et l’incertitude à long terme. Certes, les marchés tiennent bon, les mégafusions se multiplient, certains secteurs retrouvent du tonus. Mais la charpente du modèle de croissance — celle qui reposait sur des repères institutionnels fiables, une fiscalité lisible et un environnement commercial mondial relativement stable — vacille. Ce cadre qui faisait la force d’attraction de l’Amérique depuis des décennies est en train de se déliter.

Le signal d’alarme le plus fort vient sans doute de la politique commerciale. Depuis janvier 2025, l’administration Trump joue une partition musclée et désordonnée. Plus de 35 annonces ont été faites par la Maison Blanche et le département du Commerce concernant l’instauration, la révision ou la suppression de droits de douane sur les importations chinoises, européennes, indiennes, mexicaines ou vietnamiennes. Exemple frappant : en mars, Washington impose des droits de 60 % sur les véhicules électriques chinois… avant de préciser deux semaines plus tard que les usines de BYD et SAIC implantées en Arizona et au Texas seront exemptées.

Ce yoyo réglementaire sape toute logique de planification à moyen terme. Selon le Peterson Institute for International Economics, 72 % des exportateurs et distributeurs américains interrogés au printemps 2025 déclarent avoir raccourci leur horizon de planification de 3–5 ans à 12–18 mois. En 2022, ils n’étaient que 40 % à faire ce choix.

En apparence, le marché des fusions-acquisitions est en pleine effervescence. D’après Refinitiv et PwC, les deals impliquant des firmes américaines atteignent 1 900 milliards de dollars à la mi-2025, soit une hausse de 26 % sur un an. Mais ce boom est trompeur : 58 % des opérations sont concentrées sur seulement 29 méga-deals de plus de 500 millions de dollars, dont 17 relèvent non pas de logiques d’innovation, mais de restructurations défensives, motivées par la crainte de changements fiscaux.

Exemple emblématique : le rachat de Pfizer par Providence Equity Partners pour 84 milliards de dollars, finalisé en avril. À peine signé, ce deal s’est traduit par un coup de frein brutal sur les investissements en R&D, et un transfert du siège social vers un État plus favorable fiscalement. Dans la tech, le tableau est similaire : selon Bain & Company, 43 % des transactions de 2025 sont purement défensives, motivées par des logiques de hedging réglementaire.

En mars 2025, la Maison Blanche dévoile une version revue du Great Beautiful Act, une réforme d’ampleur de la fiscalité américaine. Au menu : un transfert du fardeau fiscal des entreprises vers les particuliers, et l’introduction de la Section 899, qui prévoit une taxation renforcée des résidents de pays jugés "hostiles aux actifs américains".

La réaction du capital mondial est immédiate. D’après les chiffres du Treasury International Capital System (TICS), les flux nets d’investissements directs étrangers aux États-Unis chutent de 19 % sur les cinq premiers mois de l’année par rapport à 2024. L’Europe recule de 23 %, le Japon de 17 %.

En parallèle, Fitch et S&P tirent la sonnette d’alarme dans leurs rapports de juin : sans programme de consolidation budgétaire d’ici à 2026, une dégradation de la note de crédit américaine est probable. Avec une dette publique dépassant les 34 600 milliards de dollars et un déficit fédéral de 1 380 milliards à mi-2025 (soit +11 % sur un an), l’ombre d’un tournant budgétaire forcé plane sur Washington.

Le mirage de la croissance : quand la puissance américaine vacille sur ses fondations

Le taux directeur de la Fed, maintenu à 5,5 %, continue de peser lourdement sur l’économie américaine. Au premier semestre 2025, le Trésor américain a déboursé 1 090 milliards de dollars pour le seul service de la dette — un record absolu, soit près de 300 milliards de plus qu’en 2023. Cela représente près de 14 % de l’ensemble des dépenses fédérales. Une dynamique intenable, qui commence à évincer l’investissement privé et menace de déstabiliser des pans entiers du budget public, notamment dans les infrastructures, la santé ou encore l’éducation.

Dans le même temps, les grandes entreprises américaines pulvérisent les records en matière de rachats d’actions (buybacks). D’après Goldman Sachs, les programmes de rachat atteignent déjà 655 milliards de dollars depuis le début de l’année — un signal clair : les entreprises préfèrent soutenir artificiellement leur valorisation plutôt que miser sur une expansion stratégique. Une manœuvre défensive, reflet d’un secteur privé inquiet des perspectives de demande.

Sous ses airs de croissance, l’économie américaine fonctionne désormais à coups d’impulsions déformées : avantages fiscaux temporaires, stratégies d’investissement réflexes, instabilité institutionnelle chronique. Les grandes entreprises s’en tirent en jonglant entre deals massifs et arbitrages fiscaux. Mais le tissu des PME, qui reste le cœur battant de l’innovation et de l’emploi, est en état de paralysie stratégique.

Et c’est précisément cette paralysie — cette incapacité à projeter le futur — qui constitue aujourd’hui la principale menace sur la durabilité du modèle américain. À l’ère du tweet et du tarif, l’idée même de « stratégie à long terme » devient un vestige d’un autre temps. Sans retour à une discipline budgétaire, une prévisibilité institutionnelle et un environnement commercial stable, les États-Unis pourraient entrer dans un cycle de pseudo-croissance, prélude à une crise structurelle de confiance et de désengagement du capital.

En 2025, le modèle de croissance américain n’est pas encore à terre. Mais il craque. Et **si l’horizon stratégique ne se redessine pas — à travers des réformes, de la responsabilité politique et un vrai leadership — alors ce n’est pas un ralentissement qu’il faut redouter, mais bien **l’aube d’une nouvelle ère : celle d’un pilotage économique sans cap.

Réglementations en eaux troubles, signaux brouillés

2025 est une année charnière pour les investisseurs internationaux — et surtout, en ce qui concerne le climat réglementaire américain. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier, le monde des affaires vit dans une dualité schizophrène. D’un côté, le patronat savoure le retour de la dérégulation, la remise en cause des normes ESG, et une fiscalité allégée. De l’autre, des pans entiers de la régulation de l’ère Biden persistent, en particulier dans le domaine du contrôle antitrust et des opérations transfrontalières.

La FTC (Federal Trade Commission), sous la houlette de Lina Khan, n’a pas changé de cap avec le changement d’administration. En 2025, elle poursuit sa croisade contre les concentrations jugées anticoncurrentielles. Selon un rapport de l’American Bar Association, sur 113 transactions majeures soumises à approbation depuis janvier, 28 ont fait l’objet d’enquêtes approfondies, et 6 ont été purement et simplement bloquées. Le cas emblématique reste le veto opposé au rachat de NeuroSync par Alphabet, malgré des précédents similaires validés entre 2022 et 2023.

Ce climat crée ce que les experts appellent désormais un "piège réglementaire" : les investisseurs ne se fient plus seulement aux textes de loi, mais à l’attitude des régulateurs eux-mêmes, devenue une variable d’ajustement incertaine. Comme le résume un papier de Harvard Business Review : « Le relativisme juridique dans le droit de la concurrence devient une donnée centrale du climat d’investissement. »

Et pourtant, 2025 est une année record en matière de M&A (fusions-acquisitions). Selon Refinitiv, la valeur cumulée des deals annoncés sur les cinq premiers mois dépasse 1 720 milliards de dollars, soit une hausse de 26,3 % par rapport à 2024. Les plus gros mouvements se situent dans l’énergie (Chevron–Hess, 53 Mds $), la pharma (Pfizer–Catalent, 18,9 Mds $), ou encore l’IA (NVIDIA–Graphcore, 12,4 Mds $).

Mais cette boulimie de deals relève moins de l’euphorie que de la stratégie de survie. McKinsey estime que plus de 61 % de ces transactions visent à se prémunir contre l’incertitude : sécurisation juridique, acquisition de brevets, contrôle d’actifs stratégiques. Le non-organique n’est plus un luxe, c’est un bouclier.

Comme le dit Sanjay Mahajan, directeur des investissements chez Blackstone, dans les colonnes du Financial Times :
« Le paradoxe, c’est que le M&A est devenu le meilleur moyen de se protéger contre… le M&A. Tu achètes de la résilience ou tu deviens une cible. »

La carte mondiale des investissements se redessine. D’après Bloomberg, 74 % des deals transfrontaliers en 2025 sont concentrés dans sept juridictions à la régulation lisible : Singapour, Émirats, Irlande, Canada, Corée du Sud, Chili et, dans une moindre mesure, Israël. Les États-Unis, malgré leur poids, perdent du terrain : -18 % de deals impliquant des capitaux étrangers par rapport à 2024.

Ce n’est pas l’économie qui effraie. C’est le droit. Comme l’écrit Joanna Elliot, analyste chez Moody’s, dans un rapport de juin :
« Les entreprises ne fuient pas la fiscalité, elles fuient l’imprévisibilité. Les États-Unis risquent de perdre leur statut de ‘safe haven’ non pas à cause de la Chine, mais à cause de leur propre schizophrénie réglementaire. »

Le retour de Trump s’est traduit par une hausse notable de la volatilité géoéconomique. En cinq mois, 11 nouvelles barrières tarifaires ont été instaurées (d’après l’USTR), trois accords d’investissement bilatéraux suspendus (notamment avec le Vietnam et le Maroc), et en mars, la Maison Blanche a déclenché une enquête sur le "préjudice économique" du numérique européen, provoquant un tollé à Bruxelles et des menaces de représailles.

Ce que le Peterson Institute appelle désormais "administrative geopolitical risk" devient une réalité tangible : non pas une menace militaire ou une récession, mais une instabilité chronique de la posture étatique, imprévisible et changeante. En mai, S&P a abaissé la perspective sur le climat d’investissement aux États-Unis à "neutre" — une première depuis 2012.

En parallèle, la dette publique américaine a franchi en juin un nouveau record : 36 700 milliards de dollars. Le déficit fédéral sur les huit premiers mois de l’exercice fiscal grimpe à 1 460 milliards, soit +17 % par rapport à 2024. Le Trésor a dû publier en avril un avertissement inédit, évoquant le risque de “correction budgétaire involontaire” si la trajectoire actuelle se poursuit.

Cerise sur le gâteau : le projet de loi surnommé officieusement "Big Beautiful Bill". Derrière son emballage populiste, les experts du Brookings Institution y voient une bombe à fragmentation. D’un côté, des allégements fiscaux pour les firmes domestiques ; de l’autre, des sanctions fiscales ciblées contre les groupes étrangers issus de pays jugés “hostiles”.

C’est surtout l’article 899 qui inquiète. Il prévoit un prélèvement supplémentaire sur les revenus liés à des entités "ayant des liens économiques avec des pays faussant les règles du commerce équitable". Pour John Tillman, professeur de droit à Yale :
« C’est un précédent très dangereux. L’impôt devient une arme. La fiscalité, un outil d’intimidation géopolitique. »

Des signaux, pas des certitudes : ce que cherchent (vraiment) les investisseurs en 2025

Malgré une pression réglementaire toujours plus lourde, les investisseurs mondiaux ne désarment pas. Ils cherchent, explorent, cartographient. Leur boussole ? Non plus la croissance effervescente ou les taux de rendement, mais la prévisibilité. En 2025, quelques poches de stabilité se dessinent encore dans un paysage mondial secoué :
Pharma et biotechnologies : +38 % de deals, selon IQVIA
Infrastructures en IA : +44 % d’activité M&A
Transition énergétique et métaux critiques : +61 % d’investissements dans les “green metals” malgré le risque géopolitique (chiffres IEA)

Sur le plan géographique, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et l’Europe de l’Est gagnent en attractivité. Non pas pour leur libéralisme économique — souvent absent — mais pour leur lisibilité réglementaire. En 2025, le monde financier a changé de paradigme : ce n’est plus la croissance qui prime, mais la capacité d’un État à ne pas surprendre.

Car les États-Unis, jadis pôle magnétique de la stabilité mondiale, sont devenus — et c’est historique — un facteur d’instabilité. Non à cause de fondamentaux économiques défaillants, mais en raison d’un effondrement de la confiance institutionnelle. L’incertitude administrative, désormais systémiquement ancrée à Washington, s’apparente à une métastase de la volatilité politique. Un cancer doux, mais persistant, au cœur du modèle américain.

Et pourtant, à première vue, l’économie américaine affiche une santé insolente. D’après le Bureau of Economic Analysis, le PIB progresse de 2,4 % au premier trimestre, le chômage reste bas (3,9 %), même si l’emploi dans la tech et le retail décline. Les actions d’Apple, ExxonMobil ou Pfizer battent des records. Le dollar conserve son hégémonie dans les échanges internationaux, représentant 58,9 % des réserves mondiales, selon le FMI (mai 2025).

Mais les coulisses racontent une autre histoire. Le recours à des stratégies de couverture explose. Bloomberg révèle une hausse de 22 % des positions institutionnelles sur l’or depuis janvier. Le volume de demandes d’assurance contre le risque politique auprès de l’OPIC bondit de 36 % sur un an. Les investisseurs ne fuient pas l’économie américaine, ils s’en protègent.

Dans son rapport de mai, JP Morgan Global Insights résume sans détour :
« Le dollar reste monnaie de réserve, mais les États-Unis ne sont plus une juridiction de réserve. »

Pourquoi cette défiance ? Parce que la ligne politique et réglementaire américaine est devenue erratique. En cinq mois, Trump a changé trois fois son équipe de négociateurs commerciaux, suspendu puis relancé les sanctions sectorielles contre la Chine, révisé unilatéralement des accords agricoles avec le Mexique et le Canada, tout en remettant en cause la fiscalité numérique du G20. Résultat : VIX à 27,4 en avril — un pic inédit depuis 2023.

Et ce n’est pas tout. Le projet de loi Foreign Equity Accountability Act, déposé en mars, prévoit une revue rétroactive de toutes les opérations impliquant des capitaux étrangers dans des “secteurs stratégiques” depuis cinq ans. Council on Foreign Relations évalue à plus de 380 le nombre de contrats susceptibles d’être impactés — venant notamment du Canada, du Japon, d’Arabie saoudite ou de Corée du Sud.

Dans une lettre ouverte datée du 18 mai, la Chambre de commerce des États-Unis parle de
« crise de la continuité institutionnelle qui menace jusqu’à la notion même de contrat d’investissement. »

Les critères classiques de confiance — PIB, taux directeur, inflation — sont désormais relativisés. BlackRock Investment Institute révèle que 47 % de ses clients considèrent la géopolitique américaine comme le principal facteur de risque, loin devant la Chine (38 %) ou le Moyen-Orient (26 %).

Carl Wehner, gestionnaire chez Vanguard, résume la situation dans The Economist :
« Nous ne savons plus si nos investissements aux États-Unis sont encore protégés… par le droit américain. Washington n’est plus un allié du capital. Il en est devenu la source d’anxiété. »

Conséquence logique : le comportement des entreprises évolue. 62 % des sociétés du S&P 500, selon Boston Consulting Group, ont réduit leur horizon de planification de cinq à deux ans. Le temps n’est plus à l’expansion mais à la défensive logistique. 74 % des CEO sondés disent suspendre tout investissement direct aux États-Unis jusqu’à la fin du deuxième mandat de Trump, faute de « cohérence institutionnelle ».

Pendant ce temps, les capitaux fuient vers les zones de stabilité prédictive. Les émissions obligataires notées AA+ dans la zone euro bondissent de 18 % au premier quadrimestre. L’afflux de capitaux vers la Suisse et Singapour atteint 114 milliards de dollars, selon UBS Global Capital Flows. Ce ne sont pas des flux venus d’Asie ou d’Afrique. Ce sont les fonds américains eux-mêmes qui désertent leur propre marché, effrayés par les tempêtes domestiques.

Le droit comme arme : la fin du consensus libéral ?

C’est peut-être le signe le plus inquiétant de la dérive actuelle : la transformation du droit en outil de pression politique. En avril 2025, l’adoption de la Section 906-B, dans le cadre du “Technology Sovereignty Protection Act”, a marqué un tournant silencieux mais décisif. Selon ce nouveau dispositif, toute entreprise opérant dans les secteurs sensibles — intelligence artificielle, quantique — et disposant de plus de 25 % de capital étranger, devra désormais subir un audit annuel portant sur ses liens potentiels avec des “régimes hostiles”.

Pour l’American Corporate Law Association, cette clause « sape le socle même de la protection contractuelle et la remplace par une logique de loyauté géopolitique ». Autrement dit : la loi n’est plus le garant de la neutralité, mais le bras armé d’une politique de suspicion.

Si cette tendance venait à se généraliser, les États-Unis perdraient l’un de leurs plus puissants atouts historiques : la prévisibilité juridique et la primauté du droit comme assurance tous risques pour l’investisseur global.

Car l’Amérique peut bien remporter des dizaines de batailles commerciales, signer des centaines de déclarations, voter des milliers de pages de législation — tout cela ne pèsera rien si la confiance s’érode. Pas la confiance personnelle, affective, électorale. Non. La confiance institutionnelle. Celle qui se bâtit sur la durée, dans la cohérence, la responsabilité et la lisibilité des règles du jeu.

Aujourd’hui pourtant, les États-Unis semblent jouer à la roulette avec leur propre modèle économique, misant sur l’improvisation plutôt que sur la stabilité. Mais les marchés acceptent le risque, pas le chaos. Les investisseurs tolèrent la volatilité, mais pas l’absurde. Les entreprises peuvent naviguer dans la tempête, mais pas si chaque matin réécrit les lois de la veille.

Une grande puissance économique ne tient pas seulement à sa force brute. Elle repose aussi — et surtout — sur sa maturité. Or, la maturité n’est pas faite de proclamations, mais de cette précieuse banalité qu’est la prévisibilité.

Si Washington ne retrouve pas ce chemin-là, les États-Unis risquent de perdre bien plus que leur leadership mondial. Ils pourraient dilapider ce capital moral intérieur qui, des décennies durant, a fait d’eux un symbole planétaire de foi dans l’avenir.

Et dans ce cas, le moteur le plus puissant de la croissance mondiale ne calera pas sous le choc d’un rival extérieur, mais s’arrêtera net à cause de fissures internes, invisibles à l’œil nu, mais potentiellement fatales.