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Alors que les caisses de l’État se remplissent à un rythme soutenu, la Russie s’enfonce paradoxalement dans un déficit budgétaire de plus en plus béant. Entre janvier et mai 2025, les recettes fiscales ont progressé de 20 % par rapport à la même période l’année précédente. Et pourtant, en l’espace de cinq mois, le déficit fédéral a déjà atteint 3 400 milliards de roubles, soit 1,5 % du PIB – presque cinq fois plus que l’an dernier à la même époque, et à seulement 400 milliards de la limite annuelle fixée par le ministère des Finances. Une course contre la montre semble engagée.

Ce paradoxe apparent – recettes en hausse, mais déficit en explosion – s’explique par la recomposition accélérée du budget russe sous l’effet combiné de la guerre, des sanctions et d’un virage autoritaire de plus en plus coûteux. Radiographie d’un modèle économique sous tension.

Des recettes en trompe-l’œil : la panne de la rente pétrolière

Longtemps pilier du financement public, les revenus issus du pétrole et du gaz affichent une santé plus que fragile. En mai, ils se sont effondrés à 513 milliards de roubles, soit leur plus bas niveau depuis novembre 2022 – un plongeon de 30 % sur un an, et de 45 % par rapport à décembre dernier.

Plusieurs facteurs expliquent cette chute :

– Le baril d’Urals, emblématique du brut russe, se vend désormais avec un rabais important pour contourner les sanctions secondaires.
– Les livraisons vers la Chine et l’Inde, longtemps perçues comme les planches de salut du Kremlin, fléchissent nettement : -12 % au printemps selon Refinitiv.
– Le contournement logistique du régime de sanctions, via la « flotte fantôme » et les transferts pétroliers opaques, coûte de plus en plus cher.
– La refonte fiscale appliquée au secteur extractif (notamment la réforme de la taxe sur l’extraction minière) a mécaniquement réduit les recettes de 18 % sur cinq mois.

Résultat : la rente pétrolière, qui pesait encore 36 % du budget fédéral en 2021, ne représente plus que 25 % des recettes en 2025. Une mutation structurelle… mais aussi un saut dans l’inconnu, tant les autres piliers de l’économie russe peinent à encaisser les chocs externes.

La revanche de la fiscalité intérieure

À première vue, les recettes hors hydrocarbures s’envolent : +34 % en glissement annuel, pour un total de 8 200 milliards de roubles. Ce sursaut provient essentiellement :– de la TVA intérieure : +27 %,
– de l’impôt sur le revenu et sur les bénéfices : +22 % et +19 %,
– et des droits de douane à l’import : +45 %, malgré la contraction des flux entrants.

Cette embellie fiscale s’explique par plusieurs leviers :

  1. Une inflation rampante (officiellement 6,8 %, mais bien plus dans le panier de la ménagère).
  2. Une numérisation agressive du système fiscal, avec généralisation des caisses connectées, contrôle automatisé de la TVA et outils SBiS pour traquer les fraudeurs.
  3. Une pression fiscale accrue sur les grandes entreprises. Le Centre d’analyse macroéconomique et de prévision à court terme (CMAPK) estime que la charge globale sur le grand capital a grimpé de 14 % en un an.

Mais cette stratégie de « matraquage fiscal » montre déjà ses limites : selon une enquête du RSPP (Union russe des industriels et entrepreneurs), près de la moitié des grandes entreprises ont gelé leurs investissements début 2025. Le tissu productif s’essouffle, étranglé par l’avidité d’un État en guerre.

Un État qui dépense en ordre de bataille

Côté dépenses, c’est l’explosion : +22 % en un an, avec un total de 12 900 milliards de roubles sur cinq mois. Le budget russe n’a jamais autant investi… dans sa propre militarisation.

– La défense et la sécurité accaparent désormais 5 200 milliards de roubles, soit 40 % des dépenses fédérales. Une hausse de 33 % alimentée par la guerre, la mobilisation permanente, les commandes à l’industrie de défense et les primes aux forces armées.
– Les prestations sociales suivent, à hauteur de 3 800 milliards (+16 %), sans compenser le recul du niveau de vie.
– L’administration et les transferts régionaux absorbent 1 700 milliards, en légère hausse.
– En revanche, les investissements d’infrastructure sont en recul de 7 %, révélant le sacrifice de l’avenir au profit de l’effort immédiat.

Les données officieuses qui ont fuité dans le rapport de la FAS en mai sont encore plus parlantes : sur les quatre premiers mois de l’année, les seules dépenses liées au complexe militaro-industriel auraient dépassé les 2 300 milliards de roubles, soit le double des montants de 2022.

La trajectoire budgétaire de la Russie en 2025 illustre les impasses d’une économie de guerre cloisonnée, dépendante d’un appareil fiscal sursollicité et d’une rente pétrolière en bout de souffle. À mesure que les dépenses militaires deviennent la norme, et que la pression sur les entreprises atteint un seuil critique, c’est la soutenabilité même du modèle russe qui entre en zone de turbulences.

Si Moscou tient bon pour l’instant, c’est au prix d’un grignotage méthodique de son potentiel de croissance, de sa base industrielle et de sa stabilité sociale. La suite pourrait bien se jouer non plus sur le front budgétaire, mais dans la rue.

Russie 2025 : le déficit piégé entre fonds souverain, dette domestique et isolement financier

À première vue, la stratégie russe de financement du déficit budgétaire semble tenir debout : puisant dans le Fonds national de bien-être (FNB), émettant massivement des obligations fédérales (OFZ) et mobilisant les liquidités dormantes des grandes entreprises publiques. Mais à y regarder de plus près, l’équation budgétaire tourne à l’impasse. Plus les mois passent, plus le Kremlin tire sur des cordes de plus en plus usées.

Depuis janvier, plus de 1 500 milliards de roubles ont été ponctionnés dans le FNB, dont les réserves liquides n’atteignent plus que 3 200 milliards à la date du 1er juin. En parallèle, les émissions de dette souveraine s’élèvent à 2 800 milliards de roubles, avec un taux moyen en nette hausse – de 10,6 à 11,8 %. Enfin, les réserves des régions et entreprises d’État sont partiellement captées via des mécanismes bancaires semi-forcés, façon repo et consolidation d’actifs dans les grandes banques publiques.

Le hic ? C’est que ces marges de manœuvre fondent comme neige au soleil. Le FNB pourrait être à sec dès fin 2026 si la tendance actuelle se prolonge, alertent les économistes de l’Institut Gaïdar. Quant à la dette publique, elle pourrait franchir le cap symbolique des 20 % du PIB, une première depuis 1999. Un seuil qui, dans un système fermé et sanctionné, change tout.

Le déficit russe, une anomalie systémique dans le concert des nations

À l’échelle mondiale, le déficit russe – 3 400 milliards de roubles sur cinq mois, soit 1,5 % du PIB – semble modeste face aux 1 200 milliards de dollars creusés par Washington sur la même période. Mais cette comparaison brute est trompeuse. Car tout l’enjeu n’est pas le montant, mais les conditions de financement, la solidité institutionnelle et l’intégration aux circuits financiers globaux. Et sur ces terrains, la Russie joue en division inférieure.

Prenons l’exemple de l’Inde : entre janvier et mai 2025, son déficit s’élève à 680 milliards de roupies, soit environ 600 milliards de roubles – cinq fois moins que celui de Moscou. Et pourtant, l’économie indienne croît de plus de 6,8 % par an, selon le NSO. À titre de comparaison, la croissance russe plafonne à 1,2-1,4 %, d’après la Banque mondiale. Autrement dit, New Delhi peut se permettre de creuser, car elle avance. Moscou, elle, piétine.

Autre cas d’école : la Turquie. Malgré une inflation galopante de 67,7 % en mai, Ankara limite son déficit à environ 1 000 milliards de livres turques – soit l’équivalent de 1 000 milliards de roubles. Et surtout, elle attire les capitaux : 19 milliards de dollars d’investissements directs au premier trimestre 2025, portés par le Qatar et les Émirats. Une bouffée d’oxygène que la Russie ne peut s’offrir.

Même les pays BRICS élargis affichent une moyenne de déficit contenue : 0,6 % du PIB selon le FMI. La Chine, pourtant en pleine relance technologique, prévoit un déficit de 2,8 % du PIB pour 2025, destiné quasi exclusivement à l’investissement. En Russie ? Plus de 40 % des dépenses sont englouties par la défense et la sécurité, un gouffre improductif à moyen terme.

Un financement… sans finance mondiale

Les États-Unis, malgré un déficit colossal, émettent de la dette en dollars – monnaie de réserve mondiale, recherchée par les banques centrales comme par les fonds de pension. La France, elle, s’appuie sur l’UE, ses euro-obligations, ses mécanismes de stabilisation (MES, Next Generation EU). En clair : des filets de sécurité institutionnels, un accès aux marchés et une crédibilité.

La Russie, elle, est hors-jeu. Depuis 2022, ses obligations souveraines sont exclues des principaux indices internationaux (JP Morgan EMBI, Bloomberg Barclays), et les rares tentatives de financement en yuans se heurtent au verrouillage chinois. En 2024, seuls 1,1 % des investissements chinois en dette souveraine visaient la Russie, contre 5,4 % en 2021. Le désamour est flagrant.

Résultat : le financement du déficit ne passe plus que par des boucles fermées – FNB, banques publiques, Banque centrale. Une finance en circuit court, autarcique et de plus en plus rigide. Et quand l’État veut émettre, ce sont les institutions nationales qui doivent répondre présentes, parfois sous injonction implicite. Une logique qui limite la souplesse, mine la transparence et accroît les tensions internes.

Un isolement budgétaire à haut risque

Le tableau est limpide : ce n’est pas tant le montant du déficit russe qui inquiète, que l’incapacité structurelle à le financer sainement. Le pays se retrouve dans une posture de plus en plus précaire, à la fois budgétaire, financière et institutionnelle.

Dans ce contexte, chaque point de déficit supplémentaire devient un pari : sur la solidité du rouble, sur la docilité du secteur bancaire, sur la résilience d’un modèle qui multiplie les rustines sans jamais régler le problème de fond.

À long terme, la Russie risque de basculer dans une forme de stagnation stratégique : pas de faillite brutale, mais une lente paralysie de la politique économique, sociale et industrielle. Faute de leviers externes, le budget devient l’arène d’une économie en repli, contrainte de se débrouiller seule. Et c’est précisément ce face-à-face avec elle-même que la Russie semble redouter le plus.

Stabilité sous tension : le budget russe 2025 à la croisée des chemins

L’architecture financière de la Russie ressemble à un ouvrage d’ingénierie dont les poutres paraissent solides, tandis que les fondations sont grignotées par quatre forces : l’inflation, la militarisation de l’économie, l’essor de la dette et l’érosion des réserves. Les indicateurs nominaux pointent certes vers le haut, mais la tension souterraine du système budgétaire devient dangereusement persistante.

1. La hausse des recettes n’est qu’un trompe-l’œil

Entre janvier et mai, les revenus fiscaux ont bondi de 20 % pour atteindre 11 500 milliards de roubles. Mais derrière cette embellie se cache l’inflation : officiellement 6,8 %, et même 8,4 % pour les produits non alimentaires. La collecte de TVA et d’accises gonfle mécaniquement, sans que la base productive s’élargisse vraiment.

Parallèlement, la « cavalcade fiscale » de 2025 bat des records : passage forcé de nombreux auto-entrepreneurs au statut d’IP avec cotisations sociales pleines, relèvement des normes NDE pour les petits exploitants miniers, instauration d’un impôt sur les super-profits. Les experts du CSR notent que la base d’imposition grossit surtout grâce à un contrôle plus musclé, pas à la croissance du secteur réel. Si l’inflation ralentit ou si le zèle des percepteurs faiblit, le déficit refera surface.

2. La dépendance aux dépenses militaires déséquilibre tout le reste

Plus de 40 % du budget – soit près de 5 200 milliards de roubles – filent vers la défense et la sécurité, un record absolu hors temps de guerre depuis 1991. En 2010, cette part ne dépassait pas 12 %; elle était de 22 % en 2020, de 32 % en 2023.

Conséquences :
– Les crédits d’infrastructure reculent de 7 %, et le méga-chantier du « polygone oriental » (BAM et Transsib) fond de 28 %.
– La transformation numérique de l’administration reçoit 1,6 fois moins que prévu.
– Les enveloppes science et éducation n’augmentent que de 3,2 %, en dessous de l’inflation : en valeur réelle, c’est une coupe.

Plus la part du militaire enfle, plus il devient politiquement difficile de réallouer vers la croissance. Les économistes commencent à filer la métaphore soviétique : au crépuscule de l’URSS, les dépenses d’armement mordaient plus de 17 % du PIB tandis que l’industrie piétinait.

3. Un déficit déjà au bord de la ligne rouge

Au 10 juin, le ministère des Finances reconnaissait un trou de 3 400 milliards de roubles – soit 90 % du déficit programmé pour l’année. Compte tenu des pics saisonniers (transferts régionaux à l’été, commandes militaires et « projets nationaux » à l’automne), ACRA voit le déficit grimper à 5,1-5,3 billions, plus de 2 % du PIB.

Deux issues possibles :
Le coup de rabot : tailler dans les postes non protégés. Les régions en seraient les premières victimes, quitte à s’endetter localement ou geler leurs plans de développement.
La pression fiscale : nouvelle vague d’impôts. Début juin, le ministère a évoqué une surtaxe IRPP provisoire au-delà de 10 millions de roubles de revenus et une hausse des accises carburant/alcool. Mais la base ne s’étire pas à l’infini ; trop pressuriser finit par doper la fraude et éroder la collecte.

4. Réserves limitées, dette domestique de plus en plus chère

Le Fonds national de bien-être ne pèse plus que 5 400 milliards, dont 3 200 liquides – en recul de 1 500 milliards depuis janvier. À rythme constant, le matelas pourrait être épuisé d’ici fin 2026.

Côté marché, le ministère peine à placer ses OFZ : le rendement est passé de 10,6 % en janvier à 11,9 % en mai et la demande se concentre dans un petit cercle de banques publiques, elles-mêmes refinancées par la Banque de Russie. La boucle se referme : l’État emprunte à ses propres banques, qui empruntent à la banque centrale. À long terme, cette monétisation rampante nourrit l’inflation et sape la crédibilité.

La part des non-résidents sur le marché des OFZ ne dépasse plus 0,2 % (25 % en 2018). Un système fermé peut tenir un temps, mais il renchérit le coût du capital et décourage l’investissement productif.

Le budget russe 2025 se tient debout, mais les échafaudages gémissent. Inflation persistante, priorité militaire absolue, déficit galopant, réserves en voie d’évaporation : l’addition laisse peu de marge avant l’atterrissage forcé. Les prochains mois diront si le Kremlin choisit la cure d’austérité ou le tour de vis fiscal – ou s’il continue à vivre au jour le jour, au risque d’une stagnation stratégique dont il sera difficile de sortir.

Russie 2025 : trois scénarios pour un budget sous tension

Alors que la Russie a déjà consommé près de 90 % de son déficit budgétaire annuel dès les cinq premiers mois de l’année – soit 3 400 milliards de roubles sur les 3 800 prévus – l’équation budgétaire s’annonce critique pour le second semestre. Dans un contexte de marchés volatils, de géopolitique incandescente et de contraintes internes grandissantes, les économistes russes et internationaux scrutent les marges de manœuvre du Kremlin avec une acuité nouvelle.

Voici les trois trajectoires possibles à l’horizon décembre 2025 : optimiste, centrale et pessimiste. Chacune est construite à partir de données issues du ministère des Finances, de Rosstat, de la Banque centrale, ainsi que d’instituts indépendants (Institut Gaïdar, CMAPK, ACRA, Bloomberg Economics, IIF).

Scénario optimiste : l’équilibre fragile

Hypothèses :
– Le prix du baril Urals grimpe à 85 dollars, porté par une baisse des quotas OPEP+ (notamment Arabie saoudite et Émirats) et une reprise de la demande asiatique (Chine, Inde).
– Le rouble se stabilise entre 85 et 87 pour un dollar, grâce à un ralentissement de la fuite des capitaux et au maintien des exportations de métaux précieux, charbon et engrais.
– L’inflation reste maîtrisée (6 à 7 %), avec un taux directeur de la Banque centrale inchangé à 16 %.

Conséquences :
Le rebond des recettes pétro-gazières au second semestre pourrait rapporter entre 800 et 900 milliards de roubles supplémentaires. Un rouble ferme limiterait la pression inflationniste sur les importations.

Selon les modélisations du CMAPK, le déficit resterait alors contenu dans les limites prévues (3 800 milliards de roubles), et les retraits du Fonds national de bien-être (FNB) se limiteraient à 2 000 milliards. Les réserves liquides resteraient supérieures à 3 500 milliards.

Point de rupture : toute aggravation géopolitique (nouveau train de sanctions, embargo secondaire) pourrait faire basculer ce scénario. La résilience repose sur une stabilité externe très incertaine.

Scénario central : l’usure silencieuse

Hypothèses :
– Le baril Urals stagne entre 72 et 78 dollars.
– Le rouble glisse à 89–92 pour un dollar.
– Le ministère des Finances continue d’émettre entre 600 et 700 milliards de roubles d’OFZ par mois, mais à des taux prohibitifs.
– L’inflation s’accélère vers 8 %, rognant le pouvoir d’achat et freinant la consommation intérieure.

Conséquences :
Les recettes hors hydrocarbures plafonnent, notamment la TVA et les accises. Le déficit dépasserait 5 000 milliards de roubles (environ 2,2 % du PIB), contraignant le gouvernement à amorcer une monétisation partielle : c’est-à-dire à faire racheter des obligations publiques par la Banque centrale.

Cette option, évoquée dès fin 2024, suscite de vives critiques. Des économistes comme Sergueï Gouriev ou Vladimir Milov y voient un pas vers l’auto-financement inflationniste et la fuite des investisseurs.

Autres effets probables :
– Nouvelle salve de hausses fiscales : élargissement des contributions des auto-entrepreneurs, hausse des accises (carburants, alcool, tabac), révision des cotisations sociales.
– Recette attendue : 300 à 400 milliards de roubles supplémentaires, selon l’IIF – largement insuffisant pour résorber le trou budgétaire.

Tensions sociales à l’horizon : selon les sondages de RSPP et « Delovaïa Rossia », 63 % des chefs d’entreprise envisagent déjà de délocaliser une partie de leur production vers des juridictions plus clémentes fiscalement, comme l’Arménie, le Kazakhstan ou la Biélorussie.

Scénario pessimiste : la spirale de l’isolement

Hypothèses :
– Le prix du pétrole tombe sous les 70 dollars le baril, affecté par une baisse de la demande mondiale (ralentissement chinois, tensions en Asie), une concurrence accrue sur les marchés de l’Asie-Pacifique et des discounts imposés par les sanctions.
– Le rouble se déprécie au-delà de 95 pour un dollar, amplifiant l’inflation importée.
– L’inflation dépasse les 9 %, alimentée par la hausse des coûts logistiques, des biens importés et la faiblesse du pouvoir d’achat.
– Le marché de la dette intérieure se grippe : les investisseurs fuient les OFZ, même à 12 % de rendement, forçant la Banque centrale à intervenir massivement.

Conséquences :
Dans ce cas, le déficit budgétaire atteindrait entre 5,8 et 6,2 trillions de roubles (près de 2,5–2,7 % du PIB). Le recours au FNB deviendrait inévitable et massif : à ce rythme, les réserves liquides seraient quasiment épuisées dès le premier semestre 2026.

La monétisation du déficit s’intensifierait. La Banque centrale rachèterait directement des obligations publiques pour éviter un effondrement du marché, au prix d’une nouvelle poussée inflationniste et d’une perte de crédibilité monétaire.

Conséquences politiques et économiques :
– Fortes tensions budgétaires au niveau régional : retards de transferts, coupes dans les budgets sociaux, annulations de projets d’investissement.
– Climat des affaires détérioré : exode d’entreprises vers l’étranger, effondrement de l’investissement privé.
– Risques sociaux accrus : montée des inégalités, mécontentement des classes moyennes urbaines, retour de la contestation dans les grandes villes.

Indicateur critique : le marché obligataire russe deviendrait totalement domestique et administré, à l’image d’un système soviéto-compatible : pas de non-résidents, des taux d’intérêt peu représentatifs, et une dépendance absolue à la Banque centrale.

Quel que soit le scénario, le second semestre 2025 s’annonce comme un test majeur pour la politique économique russe. Si le gouvernement parvient à stabiliser le marché des changes, à freiner l’inflation et à préserver un minimum de recettes pétrolières, le scénario central pourrait prévaloir — au prix de nouveaux sacrifices.

Mais si la dégradation s’accélère, la Russie risque d’entrer dans une zone de turbulences durable : une économie à l’arrêt, un budget sous assistance respiratoire, et une souveraineté financière réduite à la gestion de l’urgence. À terme, la grande question ne sera plus le montant du déficit, mais la capacité de l’État à rester crédible — face à ses citoyens comme à ses derniers partenaires.

Scénario pessimiste : l’économie de l’adaptation sous la menace de la stagflation

Conditions de déclenchement :
Renforcement des sanctions occidentales : les États-Unis et l’UE imposent de nouvelles restrictions sur les technologies à double usage et frappent des banques majeures comme MKB et Alfa-Bank. Résultat : l’accès aux circuits de refinancement du commerce extérieur est gravement entravé.
Chute des exportations énergétiques : la Chine réduit ses achats de brut russe de 20 % face à la concurrence du Golfe, tandis que l’Inde privilégie désormais le pétrole saoudien Arab Light.
Instabilité politique interne : les tensions sociales s’accentuent, les protestations se multiplient, et les budgets régionaux sont exsangues. Le Kremlin est contraint d’augmenter les transferts d’urgence et de gonfler les dépenses sécuritaires.

Conséquences économiques :
– Le déficit fédéral explose à plus de 6 000 milliards de roubles, soit plus de 2,5 % du PIB.
– Les ponctions sur le Fonds national de bien-être atteignent 3 500 milliards, ne laissant que moins de 2 000 milliards de roubles de réserves liquides.
– Le gouvernement est alors contraint à une austérité d’urgence : gel ou coupe dans les subventions régionales, l’aide aux PME et même les grands projets nationaux.

Les agences ACRA et RAEX estiment qu’un simple gel temporaire des paiements sur les programmes nationaux entraînerait :
– Une contraction du PIB de 0,6 à 0,8 %
– Une hausse du chômage à 6,5 %

Déstabilisation du secteur bancaire :
Face aux nouvelles sanctions, les banques russes coupent net leurs prêts à long terme. La taux interbancaire grimpe à 18 %, la Banque centrale est forcée d’intervenir via des injections de liquidités massives — au risque de gonfler la masse monétaire et d’alimenter une nouvelle spirale inflationniste.

Bienvenue dans la stagflation :
Les prix continuent de grimper tandis que l’économie réelle s’enfonce. Le FMI prévoit dans ce scénario noir une croissance du PIB limitée à 0,2 % en 2025, avec un risque avéré de récession dès 2026.

En réalité, le budget russe de 2025 ne reflète pas un plan de développement, mais une mécanique d’adaptation permanente — à l’isolement international, à la pression sociale, à l’impératif militaire. Le gouvernement est acculé à arbitrer entre stabilité monétaire, paix sociale et dépenses de guerre, avec de moins en moins de marge.

Ce n’est plus seulement une question de recettes ou de coupes. Ce qui est en jeu, c’est le modèle même de gestion des finances publiques. Tant que la stratégie reste centrée sur l’urgence et la militarisation, sans réorientation vers une logique de croissance productive, le système vacille sur ses bases.

Le scénario optimiste relève désormais plus d’une hypothèse de travail que d’une trajectoire probable. Le scénario central, avec un déficit autour de 5 000 milliards, semble le plus crédible à l’heure actuelle. Mais le scénario pessimiste — celui d’un double ou triple choc — n’a plus rien d’hypothétique.

Dans le sillage de tensions mondiales persistantes et d’un espace intérieur verrouillé, la Russie entre dans une zone d’incertitude stratégique. Si aucune réforme structurelle du budget n’est amorcée — en faveur d’une économie diversifiée, désarmée et orientée vers l’investissement — alors 2025 ne sera qu’un prologue à des secousses macroéconomiques bien plus graves dans la décennie à venir.