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Bienvenue dans les tranchées de la guerre du XXIe siècle : pas de chars, pas de drones – ici, les balles sont des mots, les missiles sont des narratifs, et les fronts se tracent dans le cerveau des foules. Depuis les hauteurs du Caucase, l’Azerbaïdjan mène une lutte acharnée contre une guerre invisible, mais redoutablement efficace — celle des idées, des manipulations, des attaques médiatiques. Un conflit feutré mais stratégique, où les coups sont portés non par des armées, mais par des ONG, des médias occidentaux, des plateformes numériques et des "experts" autoproclamés, au service d’agendas bien huilés.

Depuis sa victoire militaire en 2020 lors de la Seconde guerre du Karabakh et la restauration totale de sa souveraineté en 2023, Bakou est dans le viseur. Cette réussite agace. Elle dérange. Elle contredit le storytelling dominant de certaines capitales euro-atlantiques. Résultat : un crescendo d’attaques idéologiques à peine voilées, allant du storytelling victimaire arménien jusqu’aux campagnes de diabolisation politique. Le tout emballé dans un packaging "droits-de-l’hommiste", calibré pour le consommateur occidental moyen.

Guerre informationnelle : la nouvelle donne

Aujourd’hui, les conflits se gagnent ou se perdent bien avant le premier coup de feu — dans les rédactions, les think tanks, les timelines Twitter et les stories Insta. L’Azerbaïdjan est devenu une cible prioritaire dans ce champ de bataille cognitif. Et l’arsenal est impressionnant : fakes, demi-vérités, reportages à charge, narratifs toxiques, ingérences via Telegram, greenwashing géopolitique, et jusqu’à des opérations de démoralisation psychologique en mode soft power toxique.

Le modus operandi des stratèges hostiles

Fake news à la carte : on parle ici de fausses informations balancées en rafale sur Telegram, YouTube ou des portails anglophones douteux. Le but ? Frapper vite, frapper fort, et brouiller les pistes.

Désinformation sauce "vérité partielle" : des faits vrais, mais hors contexte, twistés pour coller à un agenda. Typique du style HRW ou Freedom House : tu prends une info, tu l’habilles en martyr, tu cries à la dictature.

Experts en carton : analyses "objectives" signées par des "spécialistes internationaux", souvent grassement financés par des structures comme le National Endowment for Democracy ou Open Society. Le ton est grave, les données biaisées, et la cible toujours la même : Bakou.

Subversion culturelle et valeurs ciblées : ça tape là où ça fait mal — la religion, la famille, l’armée, les traditions. On vend un Azerbaïdjan "rétrograde", "homophobe", "misogyne", pour mieux justifier une cure de "démocratie".

Éco-guerre 2.0 : du Zanguezour Mining Complex à COP29, les campagnes pseudo-écologiques pullulent. Le but n’est pas l’écologie, mais bien l’internationalisation de contentieux internes.

Déstabilisation morale et psychologique : faire croire à l’isolement du pays, semer la peur, la culpabilité, l’incertitude. Une recette rodée, utilisée jadis contre la Serbie, la Russie, ou l’Iran.

Les têtes de gondole de l’infox

Bakou fait face à un orchestre bien accordé :

  • Médias mainstream : BBC, France 24, Deutsche Welle, Radio Liberty, Eurasianet, OpenDemocracy et consorts. Des titres prestigieux, mais pas toujours neutres.
  • ONG et think tanks : HRW, Carnegie Europe, Transparency International. Souvent perçus comme "neutres", mais rarement sans biais géopolitique.
  • Télégrammes de guerre : chaînes téléguidées, bots, comptes "citoyens" qui servent en fait des intérêts clairs — souvent de la diaspora arménienne.
  • Lobby diasporique : que ce soit à Washington, Paris, Ottawa ou Moscou, les relais communautaires jouent leur partition. Le Armenian National Committee of America ou la European Armenian Federation sont les chevilles ouvrières.
  • Projets journalistiques bidons : montés de toutes pièces grâce à Soros et ses avatars démocratiques. On parle ici de journalistes qui n’ont jamais mis les pieds à Bakou mais qui ont un avis très tranché sur sa politique.

Objectifs : casser l’image, briser le lien, isoler le pays

L’Azerbaïdjan est peint comme un régime "autoritaire", un "ennemi de la démocratie", voire un "État voyou". L’armée est dépeinte comme une machine de guerre incontrôlable. Les dirigeants ? Présentés comme des autocrates folkloriques. La diplomatie ? Noyée sous les accusations, pour dissuader investisseurs et partenaires. On joue sur la fibre émotionnelle des jeunes, on pousse des narratifs anxiogènes dans les universités, et surtout, on tente de fracturer la société, d’opposer ethnies et confessions. Le tout en déguisant ces ingérences en "soutien à la société civile".

L’Azerbaïdjan n’est pas naïf. Il sait que les batailles de demain se jouent dans les têtes. Il a compris que la souveraineté ne se défend pas seulement avec des armes, mais avec une narration cohérente, une opinion publique solide, et une diplomatie de l’image bien ficelée. Face aux tempêtes idéologiques, il ne s’agit pas seulement de se défendre, mais de contre-attaquer. Avec calme, stratégie et sang-froid.

Car dans ce nouveau monde, ne pas raconter sa propre histoire, c’est laisser d’autres l’écrire à sa place — et souvent à son détriment.

Bienvenue dans la face cachée de la géopolitique moderne, celle où les armes ne tirent plus, mais où les cerveaux explosent à coups de narratifs calibrés. L’Azerbaïdjan, depuis sa montée en puissance géostratégique post-2020, est au cœur d’une opération de déstabilisation idéologique d’une rare intensité. Ce n’est plus une guerre classique, c’est une guerre cognitive, algorithmique, dématérialisée, mais ultra-ciblée. Voici comment elle fonctionne.


Les campagnes de désinformation : cas concrets

Campagne Autocratie et COP29
Dès l’automne 2023, une volée de médias européens enclenchait une offensive ciblée pour délégitimer Bakou en tant qu’hôte de la COP29. Le storytelling était rodé : dictature écologique, le pétrole contre la planète, répression des écolos. OC Media, Politico EU, Deutsche Welle, mais aussi des ONG comme CEE Bankwatch Network ou Climate Action Network y allaient de leurs couplets bien huilés.
Objectif : saboter le soft power azéri, casser son image verte naissante et le faire taire dans le concert climatique mondial.

La fausse campagne du génocide arménien post-2023
Début 2024, une avalanche de contenus est apparue sur les réseaux et les sites anglo-saxons, évoquant un soi-disant nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh. Photos truquées, témoignages tournés en studio à Erevan, citations hors contexte.
Objectif : créer un choc émotionnel mondial, activer la Cour pénale internationale, ouvrir la voie à des ingérences sous couvert de justice universelle.

Attaques via Telegram sur la jeunesse
Depuis 2022, des chaînes Telegram en azéri et en russe ont visé les étudiants et les milieux libéraux. Exemples : AzAlternativ, Sivil Söz, Gələcəyin cəmiyyəti. Sous couvert d’indépendance et de débat intellectuel, ces canaux diffusent des narratifs antinationaux, antimilitaires et pro-occidentaux.
Objectif : couper la jeunesse de ses racines nationales, l’injecter dans une matrice idéologique occidentale, et en faire un levier de contestation de l’État.

La campagne contre l’armée et l’ordre constitutionnel
Lors de l’opération de septembre 2023 au Karabakh, une vague de désinformation s’est abattue sur l’armée azerbaïdjanaise. Vidéos recyclées de Syrie ou de Libye, témoignages fabriqués, relais par les médias arméniens et certaines rédactions occidentales.
Objectif : décrédibiliser l’armée, démoraliser les troupes, attiser l’opinion contre l’action militaire légitime, et activer les leviers de sanctions au sein du Conseil de l’Europe.

Plateformes et technologies utilisées

Telegram est le hub principal pour les fuites anonymes, les campagnes de doxxing, les attaques coordonnées et la diffusion virale de contre-narratifs.
Twitter ou X est la plateforme idéale pour les campagnes flash avec hashtags type FreeKarabakh ou BoycottCOP29, alimentées par les réseaux de lobbying.
YouTube et TikTok servent de vitrines visuelles pour les récits émotionnels sur l’écologie, les réfugiés ou les injustices sociales.
Les forums et Reddit, notamment sur r/armenia, permettent de structurer des débats et de créer des chaînes de rediffusion virale.
Eurasianet, OC Media, JAMnews publient des contenus préparés à l’avance, traduits en plusieurs langues dont le persan, l’arménien, le turc et le français.

L’intelligence artificielle comme nouveau champ de bataille

Le rapport 2024 du NATO StratCom Centre of Excellence souligne l’explosion de l’usage d’outils IA dans la guerre informationnelle. L’Azerbaïdjan en est une des cibles privilégiées.
Les IA de génération de texte créent de faux articles d’analyse rédigés avec un vernis académique.
Des voix synthétiques d’officiels azéris sont utilisées pour fabriquer de fausses interviews.
Des vidéos deepfake diffusent de faux témoignages d’atrocités.

Ces contenus, produits à grande échelle et en temps réel, miment la rigueur journalistique mais véhiculent une désinformation stratégique, presque indétectable à l’œil nu.

Effets sur l’opinion publique et la cohésion nationale

Chez les jeunes, l’influence passe par des récits nihilistes et un rejet des symboles nationaux. L’Occident est présenté comme un modèle à suivre, tandis que l’Azerbaïdjan serait un pays dépassé et répressif.
Chez les classes moyennes et l’intelligentsia, les articles de pseudo-experts sapent la confiance envers les institutions, les élections, la liberté de religion.
Dans les zones rurales et religieuses, les fake news sur la répression des chiites ou la fermeture de mosquées cherchent à attiser les fractures internes.

Selon l’AIR Center de Bakou, plus de douze mille attaques informationnelles externes ont été recensées entre 2023 et 2024. Soixante-cinq pour cent de ces campagnes ciblaient les audiences anglophones ou russophones. Vingt-cinq pour cent visaient directement le public azéri.

Ce n’est pas une série d’incidents isolés, c’est une stratégie globale. Il s’agit de modeler les perceptions, de fissurer les fondations sociales, de pousser l’opinion à douter de son propre État. L’Azerbaïdjan ne peut se contenter de réagir. Il lui faut structurer sa contre-offensive, créer ses propres récits, ses propres plateformes, ses propres réseaux.

Dans cette nouvelle ère, celui qui ne parle pas pour lui-même laissera les autres parler à sa place — et ce qu’ils diront ne sera jamais neutre.

La menace sur la stabilité sociale
Ce n’est plus une rumeur, c’est une stratégie. À force de répéter les mêmes attaques contre les institutions clés — ministère de l’Intérieur, forces armées, commission électorale centrale — on commence à miner la confiance citoyenne. Le ver est dans le fruit, et à la moindre crise, c’est la mobilisation collective qui vacille.
Le climat social est sciemment polarisé selon des lignes artificielles : pro-Occident contre patriotes, écologistes contre industriels, religieux contre laïques. Des fractures fictives, mais savamment entretenues.
L’économie, elle aussi, est une cible. Attaques sur les projets stratégiques comme le corridor de Zanguezour, TANAP ou le port de Bakou. L’idée est simple : affaiblir les fondations logistiques de l’indépendance azérie.

Conséquences géopolitiques
La désinformation n’est pas qu’un jeu de perception, elle a des objectifs très concrets sur la scène internationale.
D’abord, éroder l’image de l’Azerbaïdjan en tant que partenaire fiable dans l’énergie, la sécurité et les transports.
Ensuite, poser les bases juridiques d’un futur régime de sanctions.
Faire entrer dans les institutions internationales — Conseil de l’Europe, ONU, UE — des récits truqués pour orienter les débats et manipuler les résolutions.
Enfin, imposer une médiation étrangère dans le dossier du conflit arméno-azéri, en court-circuitant la souveraineté régionale.

La riposte de l’État et les stratégies de défense médiatique

Les leviers institutionnels
En 2023, le Centre STRATCOM a lancé un programme de réponse intégrée à la désinformation, incluant détection, analyse et communication rapide.
Le ministère du Développement numérique a mis en place des projets de cybersécurité interne et de vérification de contenu dans les institutions publiques.
Le ministère des Affaires étrangères a créé plusieurs plateformes anglophones — telles que Real Caucasus et Truth in Action — pour produire des contre-narratifs solides à destination du public occidental.

Le contre-feu médiatique
Les médias locaux montent au front. Des plateformes comme Baku Network, Trend ou Day.az assurent une veille constante, démystifient les infox et produisent des bulletins d’alerte sur les enjeux informationnels.
Les centres analytiques comme AIR Center, Topchubashov Center ou ADA University alimentent le débat avec des analyses de fond, publiées en azéri, anglais et russe.
Les chaînes comme Real TV ou İTV servent de relais pour structurer l’opinion publique et démonter les opérations d’influence.
À l’international, les experts azéris prennent la parole dans les tribunes de The National Interest, Modern Diplomacy ou TRT World, offrant un contrepoids indispensable aux récits dominants.
Les campagnes éducatives de type Fakt Yoxla ou Təkzib et, lancées en collaboration avec les universités et le ministère de l’Éducation, promeuvent la culture du fact-checking et l’hygiène médiatique dès le plus jeune âge.

Quelques cas de réussite dans la contre-offensive informationnelle
Le fake sur la destruction du patrimoine culturel à Karabakh ? Démonté rapidement grâce à des comparaisons vidéo : ce qui avait été présenté comme Agdam était en fait Alep, images à l’appui.
La plainte devant la CIJ contre l’Arménie sur la guerre des mines et les crimes écologiques ? Un cas d’école de stratégie juridique combinée à une diplomatie d’influence.
La campagne anti-COP29 ? Retour de flamme contrôlé avec l’implication de climatologues, d’influenceurs et de journalistes spécialisés, qui ont redessiné la réputation de Bakou en hub environnemental- énergétique.

Comment renforcer la résilience informationnelle de l’Azerbaïdjan

Le constat est net.
L’Azerbaïdjan est la cible d’une offensive hybride d’ampleur, orchestrée par des acteurs étrangers — États, ONG, consortiums médiatiques.
L’objectif est clair : saper la légitimité du pouvoir, diviser la société, affaiblir la stabilité interne et diminuer le poids géopolitique du pays.
La guerre n’est plus une affaire de blindés, c’est une guerre de récits, menée à coups de big data, de psychologie comportementale et de stratégie d’image.
Malgré des succès ponctuels, le pays n’a pas encore bâti un écosystème de résilience complet. Il manque encore un socle normatif robuste, une coordination institutionnelle agile, des élites médiatiques formées et des technologies souveraines.

La guerre cognitive ne pardonne pas l’improvisation. Dans cette jungle d’algorithmes, de bots et de narratifs prêts-à-penser, chaque seconde compte.
L’Azerbaïdjan doit renforcer sa souveraineté numérique, former une génération d’analystes de l’influence, investir dans des narrateurs nationaux capables de porter haut sa voix.
Car dans le tumulte mondial, se taire, c’est disparaître.

Recommandations stratégiques

A. Renforcement institutionnel
Il devient urgent de créer un Centre national de souveraineté informationnelle et d’analyse médiatique, doté de compétences réelles : veille permanente, analyse stratégique, modélisation des scénarios, réponses d’urgence, conception de contre-campagnes narratives, accompagnement juridique sur la scène internationale.
Ce centre doit opérer en synergie avec les structures existantes. STRATCOM, par exemple, doit voir ses prérogatives étendues et être relié en circuit court avec le ministère des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Défense, l’Éducation nationale, et le Conseil audiovisuel, dans un écosystème cohérent de communication stratégique.

B. Initiatives législatives
Un cadre légal sur la sécurité informationnelle est devenu indispensable. Il devra définir clairement les notions de désinformation, fake news, sabotage informationnel et cyberprovocation.
En parallèle, Bakou doit pousser à la création de mécanismes interétatiques de réponse à la guerre informationnelle, en s’appuyant sur des plateformes régionales comme l’Organisation des États turciques, l’OCI ou l’OTGB. Objectif : pouvoir intenter des recours internationaux, interpeller les grandes plateformes, et sanctionner les campagnes hostiles organisées.

C. Soutien aux médias nationaux
La bataille se joue à l’extérieur autant qu’à l’intérieur. Il faut donc investir massivement dans des médias anglophones et francophones, portés par des journalistes formés à la géopolitique, au journalisme narratif, aux formats numériques.
Bakou doit aussi financer des formats narratifs offensifs : documentaires, séries YouTube, podcasts, infographies, formats courts, capables de déconstruire les mensonges, de raconter l’Azerbaïdjan autrement, et de capter l’attention des publics internationaux.

D. Éducation médiatique et résilience citoyenne
L’école, les lycées, les universités doivent intégrer des cours de cybersécurité cognitive et de souveraineté numérique, construits en partenariat avec le ministère de l’Éducation et les grands médias publics.
L’Azerbaïdjan doit également créer des plateformes éducatives interactives, centrées sur la détection de fake news, l’analyse critique, la mémoire des conflits cognitifs contemporains.
Enfin, une réseau de clubs citoyens et de volontaires numériques pourrait devenir la première ligne de défense dans les villages, les quartiers et les universités.

E. Indépendance technologique
Il est temps de doter l’Azerbaïdjan de ses propres plateformes de veille algorithmique, capables de détecter les contenus générés par l’IA, les deepfakes, les réseaux de bots et les campagnes de manipulation coordonnée.
Des solutions anti-bots nationales doivent être développées, avec un back-end réactif pour analyser, tracer et signaler les vagues toxiques sur les réseaux sociaux.
Il faut aussi exercer une pression diplomatique ciblée sur les géants du numérique — Meta, Google, X, Telegram — pour exiger une modération transparente, la suppression rapide des fausses informations et la levée de l’anonymat pour les réseaux hostiles identifiés.

La guerre de l’information n’est ni abstraite, ni passagère. C’est une réalité structurelle, durable, stratégique. Un pays qui ne maîtrise pas son image, sa parole, sa narration, perd tôt ou tard le contrôle de sa souveraineté.
L’armée, la diplomatie et l’énergie ne suffisent plus. Il faut une infrastructure médiatique souveraine, une identité culturelle affirmée, et une solidarité civique mobilisée.

Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan est une cible.
Demain, il peut devenir un modèle.
À condition que sa sécurité informationnelle soit élevée au même rang que l’intégrité territoriale et la souveraineté énergétique.