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Printemps 2025. On y est. Cette saison pourrait bien marquer un tournant historique : celui où les États-Unis et Israël mettraient de côté la stratégie du « maximum pressure » pour entrer de plain-pied dans l’arène, avec les bottes sur le sol et les bombes dans le ciel.

Tout est parti d’un entretien presque anodin. Quand Donald Trump a lâché dans les colonnes du Time Magazine début avril que « les États-Unis soutiendraient Israël en cas d’attaque contre l’Iran », les rédactions occidentales se sont enflammées comme une poudrière. Mais derrière cette phrase jetée en l’air se cache une architecture beaucoup plus sérieuse, bétonnée depuis des mois dans les couloirs du Pentagone, de CENTCOM et des agences de renseignement. L’infrastructure est prête. Les cartes sont sur la table.

On ne parle pas ici d’un simple coup de com’. La configuration actuelle ressemble à s’y méprendre à une phase de pré-engagement militaire. Des porte-avions dans la région, des batteries Patriot et THAAD déployées en douce, le sous-marin nucléaire USS Georgia bardé de Tomahawk, des renforts sur les bases américaines d’Oman et de Jordanie, et l’arrivée ultra-discrète des bombardiers furtifs B-2 Spirit sur Diego Garcia… Tout cela ne compose pas un puzzle abstrait : c’est un plan d’attaque, net et précis.

Le programme nucléaire iranien n’est pas qu’un enjeu technique. C’est une affaire de rang, de survie et d’équilibre stratégique dans toute la région. Selon les analystes de l’Institut pour la science et la sécurité internationale (ISIS), l’Iran disposerait, en avril 2025, de plus de 120 kilos d’uranium enrichi à 60 %. Autrement dit, si le régime appuie sur le bouton politique, il pourrait franchir le seuil nucléaire en quelques semaines. Suffisant pour faire basculer tout le Proche-Orient dans une nouvelle ère.

Le hic, c’est que l’infrastructure nucléaire iranienne est éclatée. Les installations de Fordo, Natanz, Arak, Ispahan — et bien d’autres sites disséminés dans le pays — sont non seulement bien protégées, mais intégrées à des complexes industriels à double usage, civil et militaire. Autant dire qu’une attaque nécessiterait une précision chirurgicale — et seuls les moyens militaires américains en ont les moyens.

Le matos, les muscles : qui cognera, et avec quoi ?

Selon des fuites relayées par The New York Times et Reuters, deux options sont actuellement à l’étude. Soit une frappe israélienne ciblée, sous parapluie logistique américain. Soit un assaut conjoint à grande échelle, impliquant l’US Air Force, la Navy, les moyens de guerre électronique et les unités spéciales.

La pièce maîtresse de cette phase offensive ? La bombe GBU-57 MOP (Massive Ordnance Penetrator), 14 tonnes de métal conçues pour pulvériser les bunkers enterrés. Israël, lui, n’a dans son arsenal que des bombes anti-bunker légères. Et ses F-15I ne sont pas fichus de porter un MOP — seuls les B-2 américains, désormais déployés à Diego Garcia, peuvent le faire.

Voici la force de frappe yankee, au printemps 2025, rien que ça :

— Deux groupes aéronavals (USS Harry S. Truman et Carl Vinson)
— Six batteries Patriot + trois batteries THAAD
— Six bombardiers furtifs B-2 + six ravitailleurs KC-135R
— Le sous-marin nucléaire USS Georgia, armé de 154 missiles de croisière
— Et, selon les bruits de couloir, des forces spéciales type Delta Force déjà en Jordanie

On est loin d’un simple baroud contre les Houthis au Yémen. Là, c’est du muscle, de la prépa sérieuse pour une opération régionale d’envergure.

Washington s’écharpe : la Maison-Blanche en zone grise

Le camp Trump est fracturé. D’un côté, les faucons : Marco Rubio, secrétaire d’État, et Michael Waltz, conseiller à la sécurité nationale, poussent pour une frappe préventive. De l’autre, les réalistes : le vice-président J.D. Vance et l’envoyé spécial pour le Proche-Orient, Steve Witkoff, misent encore sur la diplomatie, les pressions et les palabres.

Trump, fidèle à lui-même, entretient le flou artistique. Il donne du mou à tout le monde, semble temporiser… mais sur le terrain, les choses bougent. Les discussions discrètes avec Riyad et Abu Dhabi, les signaux de l’intelligence community, les fuites savamment orchestrées : tout laisse penser que la Maison-Blanche se prépare à « y aller », si les pourparlers capotent.

Justement, les pourparlers ont repris en catimini le 12 avril à Oman. Sauf que, deux jours plus tard, l’Iran a claqué la porte. Les exigences américaines — arrêt total de l’enrichissement et démantèlement du programme — ont été qualifiées de « diktat humiliant ».

Israël en solo ? Pas que de la gueule.

L’État hébreu ne fait plus semblant. Pour Netanyahou, un Iran nucléaire, c’est l’apocalypse. Il l’a dit, redit, et martelé : Téhéran n’aura jamais la bombe. En 2024 déjà, Israël a mené deux raids ciblés sur des sites iraniens, en avril et en octobre. Objectifs détruits : défenses aériennes, notamment des systèmes S-300.

Israël pourrait refaire le coup, même seul. Mais le vrai scénario — le plus dangereux — c’est un Israël qui attaque, déclenche une riposte iranienne, et pousse les États-Unis à entrer dans la danse pour ne pas perdre la face ni leurs bases dans le Golfe.

Car au bout du compte, ce n’est plus seulement un bras de fer nucléaire. C’est un brasier géopolitique qui couve. Et si quelqu’un y jette l’allumette, c’est tout le Moyen-Orient qui part en vrille.

Le jour d’après : Israël planifie, l’Iran riposte, le monde retient son souffle

Aujourd’hui, à Tel-Aviv, l’état-major de Tsahal planche sur deux options. D’un côté, des frappes « symboliques », histoire de secouer Téhéran et peser sur les discussions diplomatiques. De l’autre, un assaut total, une vraie grosse cavalerie qui impliquerait la maîtrise des airs, le pilonnage des défenses anti-aériennes, l’engagement des forces spéciales israéliennes et américaines, et des salves de frappes massives orchestrées par l’aviation.

Mais voilà : même avec la meilleure des volontés, Israël ne peut pas faire cavalier seul. Sans le soutien logistique et technologique des États-Unis — ravitailleurs aériens, satellites espions, munitions capables de percer des bunkers enfouis à des dizaines de mètres — le raid prend vite des allures de mission kamikaze. L’issue devient hautement incertaine.

Le premier jour de la guerre : comment ça pourrait péter

Les cerveaux du Washington Institute et de la RAND Corporation ont tiré leurs scénarios, comme des écrivains de série noire en mode fin du monde.

Scénario 1 : Frappe éclair sur Fordo et Natanz
Coordination au millimètre entre Israël et les États-Unis. De nuit. Les cibles : centrifugeuses, centres de commandement, DCA. Les armes : B-2 avec GBU-57, missiles de croisière tirés depuis les sous-marins, F-35I israéliens. En bonus ? Une cyberattaque balèze sur les réseaux de l’armée iranienne.

Scénario 2 : Provocation à la carte et « casus belli » millimétré
Tsahal tape sur une cible « soft » — camp d’entraînement du CGRI, dépôt d’armes du Hezbollah, rampe de missiles en Syrie. L’Iran réagit. Et Washington entre dans la danse sous prétexte de « rétablir la dissuasion proportionnée ». Classique.

Scénario 3 : Feu dans le détroit
Une provocation bien sale dans le détroit d’Ormuz : tanker touché, cargo détourné par drones, base à Bahreïn visée. Et hop, la flotte américaine se pointe au nom de la « liberté de navigation ».

Quel que soit le scénario, les premières 72 heures seraient un festival de domination : ciel verrouillé, ondes brouillées, communications écrasées, PVO iranienne neutralisée. Objectif : paralyser le système, frapper fort, et éviter l’enlisement.

Mais après ? Quand le feu ne veut plus s’éteindre

L’Iran, ce n’est pas un pion obéissant sur l’échiquier occidental. C’est une vieille bête blessée, retorse, qui sait où mordre.

Riposte asymétrique, style maison :

Hezbollah arrose le nord d’Israël, de Haïfa à la Galilée, avec un arsenal de plus de 120 000 roquettes, selon Tsahal.
— Les Houthis montent au créneau dans la mer Rouge, visent cargos et tankers.
— Le CGRI tape les bases US en Irak, au Qatar, aux Émirats.
— Et pourquoi pas des cyberattaques ou attentats sur le sol américain ou européen ? Téhéran en a le réseau.

Cerise sur le gâteau : l’Iran pourrait s’en prendre aux routes pétrolières. Du genre, missiles sur Saudi Aramco, blocus du détroit d’Ormuz, salves sur les terminaux gaziers du Koweït ou du Qatar. En 2019, une attaque houthie sur Abqaiq et Khurais a retiré 5 % de la production pétrolière mondiale. En 2025, ce serait pire.

Choc global garanti : la planète au bord du vertige

Un conflit armé contre l’Iran, c’est un électrochoc :

— Le baril de Brent ? 130 à 150 dollars.
— L’inflation en Europe ? À la stratosphère, surtout en Allemagne et en Italie.
— La Chine et l’Inde ? En récession technique si le robinet énergétique se ferme.
— Les marchés ? Plongée immédiate : -10 à -15 % sur le S&P 500 dès les premières 24 heures.

Et la géopolitique ? En vrille. Moscou, Pékin, Ankara : condamnation unanime de « l’agression occidentale ». La Chine, gros client de pétrole iranien, pourrait lâcher les chevaux : soutien militaire, accords énergétiques en yuan, renforcement des BRICS comme contrepoids à l’ordre occidental. Moscou, elle, pourrait troquer ses Kalibr contre les centrifugeuses perses.

Même en cas de succès militaire… la galère commence

Admettons : Fordo, Natanz, Isfahan — tous pulvérisés. DCA iranienne en ruines. Uranium partiellement neutralisé. Et après ? Washington et Tel-Aviv seront face à la même énigme que les Américains après Bagdad en 2003 : on peut casser les murs, mais pas les cerveaux.

Pas d’occupation. Pas de casques bleus. Pas de désarmement sur le terrain. Le programme nucléaire iranien pourra-t-il renaître ? Très probablement.

L’Iran, c’est le royaume du « backup ». Bunkers planqués, laboratoires enterrés à 100 mètres, sites jamais déclarés à l’AIEA. Comme le disait The Atlantic, l’Iran des années 2020 n’a rien à voir avec l’Irak des années 1980.

Risques majeurs :

— Reconstruction express sur de nouveaux sites inconnus
— Expulsion des inspecteurs de l’AIEA
— Mise à l’abri sous le parapluie nucléaire sino-russe

Et surtout : frapper ne garantit pas l’éradication de la volonté politique d’obtenir l’arme. Au contraire : ça peut la renforcer. Pyongyang l’a prouvé — c’est la menace qui a précipité l’arme, pas le contraire.

L’Iran pourrait suivre la même logique, mais avec plus de finesse, plus d’alliés, plus de moyens.

Une frappe ? Elle ne tuerait peut-être pas le programme, mais accoucherait d’un monstre clandestin, invisible, intouchable. Ce que certains analystes israéliens appellent déjà la « dé-occupation souterraine » : une reprise d’activité dans l’ombre, hors des radars, au nom de la sécurité nationale.

Et si en plus l’opération visait à décapiter les élites politiques ? On risquerait fort d’assister à l’effet inverse : un renforcement des ultras, un régime prêt à tout, jusqu’à la bombe, pour ne plus jamais être pris de vitesse.

Oui, on nous ressort souvent les exemples de 1981 et de 2007 — Osirak et Deir ez-Zor. Mais les cibles étaient uniques, à ciel ouvert, peu protégées. L’Iran d’aujourd’hui, c’est une toile d’araignée bétonnée, une guerre logistique, une coordination de haute voltige. Une vraie guerre, pas un simple raid. Et elle pourrait durer longtemps.

Le point de rupture : l’Iran au bord du gouffre, le monde au bord du choix

La grande différence, cette fois, ce n’est pas juste la cible — c’est la géographie, c’est le tempo, c’est le monde de 2025.

En Irak et en Syrie, les frappes de 1981 et 2007 avaient duré à peine quelques heures. Un aller-retour, net, sans bavure. Contre l’Iran, il faudra une campagne d’une semaine minimum, avec ravitaillements en vol, suppression systématique des défenses aériennes, logistique à flux tendu, et un stock de munitions qu’aucun autre État n’a la capacité de produire aussi vite que les États-Unis.

Mais surtout, il y aura des conséquences. En 1981, Saddam n’a pas riposté. En 2007, Bachar non plus. En 2025, Téhéran se prépare. Il attend. Il a tout prévu.

Ce conflit ne sera pas une guerre de voisinage. Ce sera un séisme géopolitique. Une onde de choc à plusieurs cercles.

Premier cercle : le Pakistan. Piégé entre son alliance avec Riyad et son affinité historique avec Téhéran. Une attaque israélienne sur des sites religieux chiites pourrait provoquer un basculement stratégique brutal à Islamabad. Un choc identitaire, nucléaire, islamique.

Deuxième cercle : la Chine. Depuis 2019, Pékin est le premier importateur de pétrole iranien. Un conflit qui bloque le détroit d’Ormuz serait perçu comme une claque diplomatique. L’humiliation d’une puissance qui veut incarner la stabilité. Cela pourrait précipiter l’installation militaire chinoise dans la région, et rompre certains accords économiques sino-américains. Washington et Pékin sur deux orbites différentes, sans possibilité de recoller les morceaux.

Troisième cercle : l’Europe. Paralysée. Déchirée entre loyauté atlantiste et peur panique d’un nouveau chaos migratoire. L’Italie, la France, l’Allemagne — toutes dépendantes du gaz qatari ou du pétrole saoudien — n’auront ni l’unité politique, ni le levier stratégique pour peser. Elles regarderont, impuissantes, les conséquences déferler sur leurs côtes.

Quatrième cercle : la Russie. À contre-courant des apparences, Moscou n’a aucun intérêt à voir l’Iran s’effondrer. Au contraire : un Téhéran affaibli mais debout, défiant l’Occident, sert ses intérêts. Cela permettrait à la Russie de renforcer son ancrage en Syrie, de se rapprocher d’Ankara, et de se positionner en « faiseur d’équilibre ». Opportunisme géopolitique pur jus.

Et l’Amérique dans tout ça ? Prisonnière de ses propres paradoxes.

D’un côté, l’héritage républicain : soutien inconditionnel à Israël, posture de fermeté, image de superpuissance qui ne plie pas. De l’autre, la réalité électorale : une guerre maintenant, c’est du sang, des larmes, du pétrole à 3 dollars le litre, et des midterms 2026 plombés par l’inflation et les cercueils.

Trump le sait. Ce n’est pas par amour de la diplomatie qu’il temporise, c’est par instinct tactique. Il veut que l’Histoire dise que ce n’est pas lui qui a commencé. Il veut frapper en dernier, quand il pourra dire au peuple américain : « C’était eux ou nous ».

Le vrai dilemme n’est pas militaire. Il est existentiel. Le monde peut-il tolérer un Iran nucléaire ?

Empêcher l’Iran d’avoir la bombe, c’est éviter une course à l’armement : Riyad, Le Caire, Ankara l’ont dit clairement — pas de monopole chiite sur la dissuasion atomique.

Lui permettre d’y accéder, c’est accepter un monde où une théocratie instable, défiant l’ordre occidental, possède une arme apocalyptique.

Mais le paradoxe est cruel : frapper l’Iran, c’est peut-être justement précipiter ce scénario. Car un État frappé est un État déterminé. L’Iran ne s’effondrera pas sous les bombes — il mutera, se cachera, s’armera.

C’est là que l’Histoire bascule.

Les partisans de la solution musclée se rassurent avec l’opération « Opéra » de 1981 ou le raid de Deir ez-Zor en 2007. Sauf que ce n’est plus la même époque. Ce ne sont plus les mêmes cibles. Le programme iranien est éclaté, enterré, masqué, multipolaire. Il ne se détruit pas avec une escadrille, mais avec une guerre totale.

Et surtout : personne n’ira occuper Ispahan. Pas de drapeaux US sur les toits. Pas de plan Marshall chiite. Le programme nucléaire survivra, sous une autre forme.

Alors non, ce n’est pas "Osirak 2.0". C’est un saut dans l’inconnu. Un précipice.

La question n’est plus : y aura-t-il guerre ?
La vraie question est : à quel prix voulons-nous la paix ?

Car autour de l’Iran, c’est une partie d’échecs à deux niveaux. Israël joue pour survivre. L’Amérique pour son hégémonie. L’Iran pour son honneur et sa souveraineté.

Mais les grands drames de l’Histoire commencent souvent par une phrase mal interprétée, un missile de trop, ou une porte de négociation refermée.

À Munich, on a applaudi la paix.
À Hiroshima, on a imposé la dissuasion.
À Téhéran, en 2025, on choisira peut-être l’avenir du monde.