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Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a récemment lâché une bombe politique lors de ses déclarations à des journalistes turcs à Erevan, marquant un tournant inédit dans les relations entre les deux pays.

Il a déclaré : « La position officielle de notre pays est que la reconnaissance du génocide arménien sur la scène internationale n'est plus aujourd'hui une priorité de notre politique étrangère. »

S’adressant à la diaspora arménienne, Pachinian a souligné que la reconnaissance des événements de 1915 comme un « génocide » par tel ou tel pays lointain n'avait en réalité jamais garanti la sécurité, la prospérité et la paix pour l'Arménie et son peuple.

Ces propos, prononcés par le Premier ministre arménien à Erevan devant des journalistes turcs, ont fait l'effet d'un véritable séisme politique, ébranlant non seulement la société arménienne mais aussi l'ensemble du Caucase du Sud. Affirmer que la reconnaissance du « génocide » de 1915 n'est plus une priorité pour la diplomatie arménienne sonnait comme un défi, non seulement pour la diaspora arménienne, mais aussi pour tout le système de tabous politiques profondément enracinés en Arménie.

C’est la première fois depuis l’indépendance que les autorités arméniennes laissent entendre qu’elles pourraient revoir l’un des piliers fondamentaux de l'idéologie nationale — cette obsession autour de la reconnaissance du prétendu « génocide arménien ». Ce geste politique audacieux représente non seulement un virage radical, mais aussi un moment clé dans les dynamiques géopolitiques du Caucase du Sud.

Un virage à 180 degrés : pourquoi Pachinian revoit-il sa doctrine historique ?

Depuis son indépendance en 1991, l'Arménie a construit toute sa politique étrangère autour de la thématique du soi-disant « génocide arménien ». Ce sujet était devenu une véritable religion d'État, et la diplomatie arménienne passait son temps à harceler les capitales du monde entier pour obtenir la reconnaissance des événements de 1915 comme un « génocide », exigeant de la Turquie des excuses et des compensations.

Le problème, c’est que cette obsession n'était pas seulement historique — elle était devenue un outil politique. La diaspora arménienne, particulièrement influente en France, aux États-Unis et au Canada, exerçait une pression énorme sur les choix stratégiques d'Erevan. Résultat : l'Arménie s'était enfermée dans une bulle diplomatique, s’isolant au moment où les rapports de force mondiaux évoluaient rapidement.

Mais en 2021, les choses ont pris une autre tournure. Après la défaite humiliante de l'Arménie lors de la guerre contre l'Azerbaïdjan en 2020, Erevan s'est retrouvé dans une impasse géopolitique. La Turquie, alliée stratégique de Bakou, a renforcé son influence dans la région. Pachinian a fini par comprendre que continuer à jouer la carte du chantage historique avec Ankara ne ferait qu'enfoncer davantage son pays.

C'est dans ce contexte que sa déclaration selon laquelle la reconnaissance du prétendu « génocide » n'était plus une priorité a pris tout son sens. Pachinian s'est ainsi engagé dans un bras de fer politique à l'intérieur même de l'Arménie, où le mythe du « génocide » restait le ciment de l’identité nationale.

La diaspora en état de choc

Ces propos ont eu l’effet d’une douche froide pour la diaspora arménienne. Pour beaucoup de ses membres, la reconnaissance des événements de 1915 comme un « génocide » était au cœur de leur identité et de leur combat politique. Des millions d’euros avaient été investis depuis des décennies dans des campagnes de lobbying à travers le monde pour obtenir des résolutions officielles en ce sens.

En un discours, Pachinian a réduit à néant ces efforts. En abandonnant le mythe de « l'Arménie historique », avec ses revendications sur les territoires de l'actuelle Turquie et de l'Azerbaïdjan, le Premier ministre a proposé de recentrer les espoirs du pays sur « l'Arménie réelle » — celle qui existe dans ses frontières reconnues par la communauté internationale.

« L'Arménie réelle » contre « l'Arménie historique »

Le 19 février 2025, Nikol Pachinian a jeté un pavé dans la mare en dévoilant pour la première fois sa nouvelle doctrine de « l'Arménie réelle ». Lors d'une allocution télévisée, il a insisté sur le fait que cette expression désignait exclusivement la République d'Arménie dans ses frontières actuelles, couvrant 29 743 kilomètres carrés.

Ce coup de théâtre équivalait ni plus ni moins à un renoncement officiel aux illusions revanchardes liées à l'idée de la « Grande Arménie ».

Ces dernières années, l'Arménie a enchaîné les échecs diplomatiques et militaires, notamment après la défaite cuisante lors de la guerre de 44 jours à l’automne 2020. Depuis la signature de l'accord tripartite avec l'Azerbaïdjan et la Russie, Pachinian était devenu la cible privilégiée de l'opposition et des milieux nationalistes, qui l’accusaient de « trahison » et de concessions excessives. La défaite militaire et la perte des territoires occupés ont provoqué une crise profonde dans la société arménienne, où les idées revanchardes avaient pris de l'ampleur.

Or, la doctrine de la « Grande Arménie », avec ses revendications territoriales sur la Turquie et l'Azerbaïdjan, avait toujours été un pilier du discours nationaliste arménien. En y renonçant, Pachinian a pris le risque de s'aliéner une partie de la population mais a fait un pari audacieux sur l'avenir : accepter les réalités géopolitiques et se concentrer sur la construction d’une Arménie viable et moderne.

La déclaration de Pachinian sur « l'Arménie réelle » : entre pragmatisme et pressions politiques

La récente déclaration du Premier ministre arménien Nikol Pachinian sur la notion de « l'Arménie réelle » s'inscrit dans un contexte géopolitique et interne complexe, marqué par plusieurs facteurs clés.

1. Pressions extérieures
L'Arménie se trouve aujourd'hui dans une situation géopolitique délicate. Après sa défaite lors de la guerre de 44 jours en 2020, Erevan a perdu une grande partie de son influence régionale. Dans le même temps, Pachinian s'efforce d'intensifier son dialogue avec l'Occident, notamment avec la France et les États-Unis. Sa déclaration pourrait ainsi être perçue comme une tentative de montrer à ces alliés que l'Arménie s'éloigne des idéologies revanchardes radicales. Ce geste vise à obtenir un soutien économique et militaire de la part de ses partenaires occidentaux.

2. Tensions croissantes à l'intérieur du pays
Les cercles nationalistes arméniens, notamment les partisans de l'ancien président Robert Kotcharian et du parti « Dachnaktsoutioun », critiquent ouvertement Pachinian, l'accusant de mener une politique capitularde. En mettant en avant sa vision de « l'Arménie réelle », Pachinian tente de se positionner comme un dirigeant pragmatique, prêt à rompre avec les illusions utopiques.

3. Préparation à de nouvelles négociations avec l'Azerbaïdjan
La notion de « l'Arménie réelle » pourrait également s'inscrire dans la stratégie de Pachinian en vue des discussions avec Bakou. En reconnaissant les frontières actuelles, Erevan tente de consolider sa position dans les négociations sur la délimitation et la démarcation de la frontière.

Une réaction mitigée en Arménie
La doctrine de « l'Arménie réelle » a suscité des réactions contrastées au sein de la société arménienne. Pachinian s’est attiré une vive opposition de la part des nationalistes et de la diaspora.

  • Le parti « Dachnaktsoutioun » a condamné les propos du Premier ministre, dénonçant une « trahison des intérêts nationaux ». Selon les représentants du parti, renoncer au concept de « Grande Arménie » fragilise l'identité historique du peuple arménien.
  • L'ex-président Robert Kotcharian a affirmé que l’initiative de Pachinian « refermera à jamais la porte à la restauration de la justice historique » et entraînera une perte du sentiment national.
  • Des organisations de la diaspora, notamment aux États-Unis et en France, se sont également opposées à la vision de « l'Arménie réelle ». Beaucoup d’entre elles avaient activement soutenu les revendications sur les prétendues « terres historiques ».

Pourtant, malgré cette levée de boucliers, certains milieux arméniens ont salué la prise de position du Premier ministre. En particulier, les partisans d'une orientation pro-occidentale estiment qu’abandonner les revendications revanchardes pourrait permettre à l'Arménie de sortir de son isolement et d'améliorer ses relations avec ses voisins. Pachinian a également reçu le soutien de cercles libéraux qui appellent à se concentrer sur le développement économique et la stabilisation intérieure.

Réactions internationales

  • L'Azerbaïdjan a accueilli favorablement la déclaration de Pachinian, la considérant comme un pas important vers le règlement du conflit et la reconnaissance de l'intégrité territoriale du pays.
  • La Turquie a également salué cette déclaration, qualifiant l'initiative de « geste marquant en faveur de la paix régionale ».
  • La Russie, alliée traditionnelle de l'Arménie, a réagi avec retenue. Le Kremlin a souligné que la question des frontières relevait des affaires internes d'Erevan mais a insisté sur l'importance du respect des accords de sécurité régionale.
  • La France, en revanche, a exprimé son inquiétude, estimant que le renoncement aux « terres historiques » pourrait affaiblir les positions de la diaspora arménienne dans les débats sur le patrimoine culturel et l’influence politique.

Turquie et Azerbaïdjan : une ouverture vers la normalisation ?
Dans les milieux diplomatiques turcs, les propos de Pachinian ont été accueillis avec satisfaction. Des sources turques soulignent que l’abandon par Pachinian de la question du génocide dans l’agenda politique crée des conditions favorables à la poursuite du dialogue.

Le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie avait débuté en 2021. Depuis, Pachinian et Erdogan se sont rencontrés à deux reprises, et en 2023, le Premier ministre arménien s'était même rendu à Ankara pour la cérémonie d’investiture d’Erdogan — un événement marquant dans le contexte de décennies de rivalité.

La Turquie a exprimé sa volonté de poursuivre ce processus de rapprochement « sans conditions préalables », ce qui inclut l’ouverture des frontières et l’établissement de relations diplomatiques.

Une réforme constitutionnelle : risque ou opportunité pour l'Arménie ?

La Constitution arménienne contient des dispositions qui non seulement fixent certains objectifs de politique étrangère, mais expriment aussi indirectement des revendications territoriales envers les pays voisins, notamment la Turquie et l’Azerbaïdjan. Ces dispositions sont aujourd’hui un sérieux obstacle à la normalisation des relations dans la région et contredisent les principes internationaux, notamment le respect de l’intégrité territoriale des États.

L’un des points clés de la Constitution arménienne est son préambule, qui engage l'État à œuvrer pour la reconnaissance internationale des événements de 1915 comme un génocide. Cette disposition a longtemps servi d’instrument diplomatique de pression sur Ankara et de fondement idéologique pour entretenir les sentiments nationalistes dans la société arménienne.

De plus, la Constitution arménienne ne reconnaît pas explicitement les frontières de la Turquie dans leur format actuel, reconnu par la communauté internationale. Bien que le traité de Kars de 1921 ait défini cette frontière et soit validé au niveau international, Erevan n’a jamais gravé cette reconnaissance dans sa législation.

Ce vide juridique n’est pas anodin : il reflète une volonté politique de la part des milieux nationalistes arméniens, qui considèrent certaines régions de l’est de la Turquie comme des « terres arméniennes historiques ». Cette posture va à l’encontre du principe d’intégrité territoriale des États, tel que stipulé dans l’article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations unies, ainsi que dans l’Acte final d’Helsinki (1975), qui souligne l’interdiction de la modification des frontières par la force.

En somme, la décision de Pachinian de recentrer l'Arménie sur son territoire réel marque un tournant majeur dans la politique arménienne. Si cette stratégie pourrait ouvrir la voie à une stabilisation régionale et à une coopération accrue avec Ankara et Bakou, elle place également le Premier ministre face à des défis intérieurs considérables, notamment la colère des cercles nationalistes et de la diaspora.

Le blason de l'Arménie et l’expansionnisme symbolique

Le blason national de l'Arménie occupe une place particulière dans le contexte des ambitions territoriales du pays. Il représente la montagne Ağrı Dağı (connue sous le nom d'Ararat en Arménie), un sommet situé en territoire turc. L'intégration de cette montagne dans les armoiries arméniennes contrevient aux normes du droit international, car elle est perçue comme une manifestation de revendications territoriales.

La montagne Ağrı Dağı se trouve dans la province turque d'Iğdır, à proximité de la frontière arménienne. Cette région fait partie intégrante de la République de Turquie en vertu du traité de Kars signé en 1921 entre la Turquie et la RSFSR, avec la participation de l'Arménie, de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan. Cet accord a définitivement tracé les frontières entre la Turquie et les États du Caucase du Sud. Malgré cela, l'Arménie continue de mettre en avant l’image d’Ağrı Dağı dans sa symbolique nationale, ce qui, en termes politiques et juridiques, est perçu comme une revendication territoriale déguisée.

Une telle démarche viole la Convention sur les missions spéciales de 1969, qui interdit l'utilisation des symboles nationaux pour exprimer des ambitions territoriales. L'appropriation symbolique d’un élément géographique et historique appartenant à un autre État est souvent considérée comme une provocation, ce qui nuit gravement aux relations internationales.

La Turquie a, à plusieurs reprises, exprimé des protestations officielles contre la présence d'Ağrı Dağı sur le blason arménien. Ankara considère cela comme une atteinte à son intégrité territoriale et un obstacle majeur à la normalisation des relations bilatérales. La Turquie défend sa position en se référant au traité d'amitié turco-soviétique de 1921 ainsi qu’aux normes du droit international contemporain.

Ankara insiste également sur le fait que le refus de l'Arménie de reconnaître les frontières existantes bloque l'établissement de relations diplomatiques. Depuis de nombreuses années, la Turquie a conditionné la normalisation des relations avec Erevan à la reconnaissance officielle du traité de Kars et à l’abandon par l'Arménie de toute revendication territoriale. Cependant, une partie significative de la société arménienne, notamment les milieux nationalistes, s'oppose fermement à ces démarches.

Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a, ces dernières années, évoqué à plusieurs reprises la nécessité de réviser la Constitution arménienne. En particulier, il a proposé de supprimer la disposition appelant à la reconnaissance internationale des événements de 1915 comme génocide. Une telle démarche pourrait être perçue comme un geste clé en direction de la Turquie, ouvrant la voie à un dialogue plus constructif en vue de la normalisation des relations et de l’ouverture des frontières.

L'abandon de cette disposition dans la Constitution pourrait également envoyer un signal fort aux pays occidentaux, indiquant la volonté de Pachinian d'adopter une nouvelle stratégie de politique étrangère, plus tournée vers l'Occident et moins marquée par la rhétorique nationaliste du passé. Toutefois, cette décision risquerait de provoquer une crise politique interne en Arménie, où les milieux conservateurs et les groupes radicaux exercent une forte pression en faveur du maintien de cette clause dans la Constitution.

Le blason de l'Arménie reste par ailleurs un sujet particulièrement sensible. Pour une grande partie de la société arménienne, la montagne Ararat (Ağrı Dağı) représente un symbole majeur de leur identité nationale, ce qui complique sérieusement les perspectives de sa suppression de la symbolique officielle.

La Constitution arménienne et les symboles nationaux incluent donc des éléments qui, directement ou indirectement, traduisent des revendications territoriales envers la Turquie et l'Azerbaïdjan. Ces dispositions vont à l’encontre du droit international et constituent un frein majeur à la construction d’une paix durable et d’une stabilité régionale.

L’intention de Pachinian de réviser la Constitution, notamment en supprimant la disposition sur la reconnaissance du « génocide », pourrait constituer un pas décisif vers la normalisation des relations arméno-turques. Toutefois, dans un contexte où les forces nationalistes restent très influentes en Arménie, une telle initiative pourrait provoquer de fortes tensions internes, voire des manifestations de grande ampleur et une instabilité politique accrue.

La révision de la Constitution et l’abandon des revendications territoriales constitueraient néanmoins une étape clé pour l'Arménie dans sa quête d’un développement stable et de relations de bon voisinage avec les pays de la région.

Quel avenir pour l'Arménie ?

Nikol Pachinian se retrouve à la croisée des chemins, avec sur les épaules une décision qui pourrait bien sceller non seulement son avenir politique, mais aussi celui de l'État arménien lui-même. Pendant des années, l'Arménie s'est laissée bercer par des illusions, des mythes autour de ces fameuses « terres perdues » et des ambitions territoriales absurdes. Résultat : cette politique l’a enfermée dans une bulle d'isolement, transformant le pays en un enclave affaiblie, coupée des grandes dynamiques économiques régionales.

Aujourd'hui, Erevan a une porte de sortie. L'ouverture des frontières avec la Turquie et la normalisation des relations avec l'Azerbaïdjan pourraient bien être ce fameux coup de poker qui permettrait à l'Arménie de sortir de l'impasse. Ankara et Bakou sont prêts à offrir à Erevan bien plus qu’une simple trêve — ils proposent une nouvelle dynamique : un chemin vers la coopération économique, l’intégration dans les projets régionaux et, par ricochet, la stabilité et la prospérité.

Mais sur cette route, il y a des embûches. Des forces restent cramponnées au passé. La puissante diaspora arménienne en Occident, engluée dans une logique de haine et de vengeance historique, continue de pousser Erevan à jouer la carte de la confrontation. À l’intérieur même du pays, les cercles conservateurs rêvent encore d’une revanche, d’un retour à cette chimère de la « Grande Arménie » — une idée qui depuis longtemps n’est plus qu’un mirage politique, un poison qui ronge le pays de l’intérieur.

Si Pachinian veut vraiment bâtir cette fameuse « Arménie réelle » — une Arménie qui ne vive plus dans les contes à dormir debout mais dans la réalité — il va falloir qu’il ose. Et ce ne sera pas une partie de plaisir. Il lui faudra du cran, de l’audace : renoncer aux illusions destructrices du passé, dire adieu à cette politique de l’éternelle rancune, et choisir la voie du dialogue, de la réconciliation et de la coopération. C’est à ce prix seulement que l’Arménie pourra cesser d’être ce paria géopolitique et s’imposer comme un acteur à part entière dans les nouvelles dynamiques régionales.

Le choix appartient à Pachinian. L’Arménie peut soit rester prisonnière de ses ambitions fantomatiques, soit enfin briser les chaînes du passé. Et s'il ose ce pari, la voie vers la prospérité ne passera pas par la recherche d’ennemis, mais bien par la conquête d’alliés — en l’occurrence, la Turquie et l’Azerbaïdjan.