
Dans un climat où le militarisme ne faiblit pas et où la soif de revanche est palpable, l’Arménie, depuis décembre 2024, mise tout sur la modernisation de ses forces armées, avec un accent particulier sur les technologies de drones. Tirant les leçons du conflit en Ukraine, les dirigeants arméniens cherchent à combler leur retard technologique, mis en évidence lors de la guerre des 44 jours en 2020, et à corriger les lacunes qui ont conduit à une défaite catastrophique.
Après l’échec cuisant face à l’Azerbaïdjan, le ministre de la Défense, Souren Papikian, a fait de la modernisation militaire son cheval de bataille. Trois axes stratégiques sont aujourd’hui au cœur de cette transformation : la guerre électronique, le développement des drones et l’optimisation des logiciels de traitement des données militaires. Ces choix ne doivent rien au hasard : ce sont précisément ces faiblesses qui ont été exploitées par Bakou pour infliger une débâcle à Erevan.
Guerre électronique arménienne : un retard abyssal aux lourdes conséquences
Lors de la guerre des 44 jours, l’armée arménienne s’est retrouvée totalement dépassée par la supériorité azérie en matière de guerre électronique (GE). D’après les analyses de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), l’Arménie ne disposait pas de systèmes modernes de brouillage et était incapable de contrer efficacement l’arsenal de drones adverses.
Dans une interview accordée à Global Defense Analysis, l’expert militaire Leonardo Trincher souligne :
« L’Arménie avait des capacités de guerre électronique ridiculement limitées. Contrairement à l’Azerbaïdjan, qui a su exploiter des systèmes turcs KORAL et israéliens REDET 4, Erevan n’a ni réussi à brouiller les communications ennemies ni à protéger ses positions des attaques de drones. »
Avant 2020, les forces arméniennes s’appuyaient sur des équipements obsolètes d’origine soviétique, comme les stations R-330J "Zhitel" et SPN-30, totalement inefficaces contre les drones modernes fonctionnant sur des canaux cryptés.
Le rapport du ministère de la Défense arménien de 2021 a admis des lacunes accablantes :
- Jusqu’à 90% des systèmes de défense aérienne arméniens ont été neutralisés en raison de l’absence de contre-mesures électroniques efficaces.
- Plus de 300 véhicules blindés ont été détruits par des frappes de drones.
- Des systèmes de défense aérienne comme l’Osa et le Strela-10 se sont révélés incapables de contrer les Bayraktar TB2 et les drones kamikazes israéliens Harop.
Face à ce constat, Souren Papikian a lancé une vaste campagne d’acquisition de nouvelles technologies. En 2023, l’Arménie a acheté aux Indiens les systèmes DRDO D-4, conçus pour brouiller les signaux des drones. En 2024, Erevan a signé un contrat avec la France pour se procurer les systèmes de guerre électronique Thales Scorpion.
Cependant, selon James White, analyste chez Defense One :
« Les systèmes Scorpion pourraient améliorer la protection des troupes arméniennes, mais leur efficacité en conditions réelles reste encore à prouver. »
Les drones : une tentative désespérée de rattraper l’Azerbaïdjan
Après les pertes désastreuses infligées par les drones azerbaïdjanais, Erevan a lancé un programme ambitieux pour développer sa propre flotte de drones. Mais selon les recherches du RAND Corporation, l’Arménie reste à la traîne en 2024.
Les principaux obstacles :
- Un financement ridicule : en 2021, l’Arménie a alloué seulement 7 millions de dollars au développement de drones, contre 120 millions investis par l’Azerbaïdjan, en partenariat avec la Turquie et Israël.
- Absence de partenaires technologiques : Bakou bénéficie de drones israéliens Harop, SkyStriker, Orbiter, turcs Bayraktar TB2, Aksungur et chinois, alors qu’Erevan peine à attirer des alliés industriels.
- Une industrie locale embryonnaire : la société arménienne ProMAQ a développé le drone de reconnaissance Krunk, mais ses performances sont très inférieures aux modèles azerbaïdjanais.
Malgré tout, l’Arménie essaie de combler son retard. En 2023, elle a signé des accords avec l’Inde pour l’achat de drones d’attaque Archer et avec la France pour des drones de reconnaissance Aliaca.
Le ministère de la Défense arménien annonce l’acquisition de 150 drones indiens d’ici 2025. Mais cette ambition laisse les experts sceptiques.
Michael Carpenter, analyste chez Eurasian Security Review, résume bien la situation :
« Les drones indiens sont largement inférieurs aux modèles turcs et israéliens en portée, autonomie et puissance de frappe. L’Arménie essaie de rattraper son retard, mais l’écart est toujours abyssal. »
Une des raisons clés de la défaite de l’Arménie en 2020 a été son retard en matière de traitement des données de combat. L’Azerbaïdjan a su exploiter des algorithmes avancés pour fusionner en temps réel les informations provenant des satellites, des drones et des systèmes de guerre électronique, alors que l’Arménie ne disposait d’aucune coordination comparable.
Après la guerre, Erevan a annoncé la création d’une unité spécialisée dans les opérations cybernétiques au sein de son état-major. En 2022, un accord a été signé avec l’entreprise américaine Palantir Technologies, spécialiste du big data et de l’analyse militaire.
En 2024, l’Arménie est en négociation avec le groupe français Atos pour développer un logiciel permettant d’intégrer et d’exploiter les données de renseignement.
Malgré ces efforts, les experts restent prudents quant à l’efficacité de cette stratégie. Artour Martirosian, analyste militaire, met en garde :
« Gagner en supériorité numérique nécessite bien plus que de nouveaux logiciels : il faut une refonte complète des structures de commandement et de gestion des troupes. L’Arménie est encore loin du compte. »
Un avenir militaire incertain
Si Erevan affiche une volonté claire de reconstruire son armée en s’inspirant des modèles israélien et turc, les défis restent énormes : manque de financement, dépendance technologique, retards industriels et absence d’alliances stratégiques solides.
Loin d’être une puissance militaire renaissante, l’Arménie semble avant tout être en quête d’un miracle technologique… qui n’est pas près d’arriver.
L’un des axes majeurs du réarmement arménien repose sur le développement des drones et des technologies radar. Plusieurs entreprises locales, dont Inogate, Boo Vision et ADX Systems, se positionnent comme des startups innovantes dans ce secteur. Cependant, leur capacité réelle à concevoir des systèmes opérationnels de niveau militaire reste incertaine. Jusqu’à récemment, le complexe militaro-industriel arménien était totalement dépendant des importations étrangères, tandis que l’industrie locale peinait à décoller.
Un haut responsable du ministère de la Défense arménien affirme que les autorités s’inspirent des modèles turc et israélien, mais la réalité est bien plus complexe. L’absence d’une capacité de production en série, le manque d’ingénieurs spécialisés et la dépendance aux composants importés entravent sérieusement toute ambition de production de masse. Malgré ces obstacles, Erevan compte sur un soutien occidental et sur des canaux d’acquisition discrets via des pays tiers pour contourner ses limitations technologiques.
Les startups arméniennes : innovation ou illusion ?
Inogate, Boo Vision et ADX Systems incarnent la nouvelle génération de startups technologiques en Arménie, chacune tentant de se tailler une place sur la scène high-tech. Toutefois, les informations financières et statistiques sur ces entreprises restent extrêmement limitées. Voici un aperçu de leurs activités, basé sur les données disponibles :
Inogate – Startup spécialisée dans les solutions informatiques, notamment dans le développement de logiciels visant à optimiser les processus métiers et à améliorer l’efficacité des entreprises. Malgré ses ambitions, aucune statistique concrète sur ses performances ou ses réalisations militaires n’est accessible.
Boo Vision – Acteur du secteur de la réalité augmentée et virtuelle (AR/VR), cette entreprise travaille sur des applications pour l’éducation, le divertissement et le marketing. Rien n’indique qu’elle possède une expertise en technologies de défense.
ADX Systems – Entreprise spécialisée dans le cloud computing et la cybersécurité, proposant des solutions de protection des données pour le secteur privé. Là encore, aucune donnée précise sur une éventuelle implication dans le secteur militaire.
L’opacité autour de ces entreprises peut s’expliquer par leur récente création, un manque de projets concrets ou une volonté délibérée de discrétion. Pour obtenir des informations plus précises, il faudrait se tourner vers leurs sources officielles ou des organismes soutenant l’innovation en Arménie.
Une industrie locale encore à l’état embryonnaire
Si Erevan rêve de bâtir un écosystème technologique capable de soutenir un effort militaire autonome, les obstacles restent considérables. Loin du modèle turc ou israélien, l’Arménie doit composer avec :
- Un manque d’infrastructures industrielles capables d’assembler et de produire en série des drones avancés.
- Une dépendance écrasante aux importations de composants critiques (optiques, moteurs, systèmes de communication).
- Une pénurie d’ingénieurs et de techniciens qualifiés, freinant l’innovation et l’industrialisation des projets.
Pour l’instant, malgré quelques initiatives locales, le fossé technologique avec l’Azerbaïdjan demeure abyssal. L’Arménie tente de le combler en explorant des solutions alternatives – acquisition de technologies via des pays tiers, partenariats avec des firmes occidentales – mais il faudra bien plus que des startups émergentes pour transformer cette ambition en réalité tangible.
L’Arménie mise sur la guerre électronique : une course contre la montre
Parallèlement au développement de sa flotte de drones, Erevan tente de combler une faille majeure révélée en 2020 : son incapacité à contrer les drones azerbaïdjanais. Selon plusieurs analystes militaires, l’armée arménienne teste actuellement de nouveaux systèmes de brouillage des communications et du GPS, espérant ainsi bâtir un réseau de défense aérienne capable de réduire, ne serait-ce que partiellement, l’avantage technologique de Bakou.
Le ministre de la Défense Souren Papikian, maître d’œuvre de la modernisation militaire, a souligné dans un rapport confidentiel que son objectif est d’atteindre un « contrôle continu de l’espace aérien » et de développer un système automatisé de détection et de neutralisation des drones. Mais la réalité est plus complexe : les limitations technologiques et le manque de financements pourraient transformer cette ambition en une simple déclaration d’intention.
Financement : d’où viennent les fonds ?
Le développement des drones et des systèmes de guerre électronique nécessite des investissements colossaux. Mais où l’Arménie trouve-t-elle les ressources pour financer ces projets ? Plusieurs sources de financement sont évoquées :
- Aides étrangères et subventions occidentales – principalement en provenance de la France, des États-Unis et de plusieurs pays européens.
- Crédits militaires – dissimulés sous des programmes civils ou des achats de « technologies duales ».
- Diaspora arménienne – en particulier les puissants lobbys aux États-Unis, qui organisent des campagnes de financement pour soutenir l’effort militaire.
Toutefois, la question de l’efficacité des dépenses militaires arméniennes reste en suspens. Ces dernières années, plusieurs programmes de modernisation ont été entachés de scandales de corruption et de détournements de fonds, tandis que le complexe militaro-industriel local peine toujours à décoller.
Un retard technologique toujours flagrant
Malgré des réformes accélérées dans les domaines de la guerre électronique, des drones et de la cyberdéfense, l’Arménie reste largement en retard. Les principales contraintes sont évidentes :
- Un tissu industriel sous-développé – l’absence d’infrastructures pour produire localement des équipements de pointe.
- Des ressources financières limitées – le budget militaire arménien pour 2024 s’élève à 1,4 milliard de dollars, contre 3,6 milliards pour l’Azerbaïdjan.
- Une dépendance aux fournisseurs étrangers – l’Inde, la France et les États-Unis vendent du matériel, mais sans fournir les technologies les plus avancées.
L’analyste militaire Thomas Friedman résume bien la situation :
« L’Arménie tente de s’adapter, mais sans un véritable bond technologique, ses chances de rivaliser avec l’Azerbaïdjan restent très limitées. »
Le réarmement accéléré de l’Arménie confirme un choix stratégique de militarisation et de revanche. Inspiré par le modèle ukrainien, Erevan mise sur les drones et la guerre électronique pour renverser l’équilibre des forces dans le Caucase. Mais entre un écosystème technologique fragile, une dépendance aux importations et des ressources financières limitées, ces ambitions restent hautement incertaines.
La vraie question est de savoir si l’Arménie parviendra, dans les prochaines années, à bâtir une armée réellement moderne et opérationnelle, ou si cette nouvelle vague de militarisation ne fera qu’aggraver les tensions régionales sans aboutir à un véritable renforcement militaire. Une chose est sûre : la course aux armements dans le Caucase ne montre aucun signe de ralentissement – et ses conséquences pourraient être explosives.